La haine pèse ; il est si doux d'en décharger le poids !
Un gouvernement doit nécessairement réussir. L'obliger à convenir qu'il n'a pas réussi, c'est l'obliger au plus funeste de tous les aveux.
Être plus faible que les factions est un tort immense de la part d'un gouvernement, et justifie sa chute.
Le premier soin d'un gouvernement est de faire le contraire de celui qui l'a précédé, ne serait-ce que pour obéir aux passions qui l'ont fait triompher.
En ne voulant jamais exposer sa gloire, on la perd quelque fois.
La fidélité et l'indépendance sont deux qualités qui semblent contradictoires, mais qu'on trouve souvent réunies chez les hommes de mer.
L'empressement des femmes est toujours le symptôme le plus sûr de l'engouement public. Ce sont elles qui, par leurs soins actifs, leurs discours, leurs sollicitudes, se chargent d'y ajouter le ridicule.
On n'a rien fait tant qu'il nous reste à faire.
Il est d'usage de devenir exigeant et susceptible quand on se croit nécessaire.
Dès qu'on s'explique, dès qu'on se justifie, on est dominé par ceux auxquels on s'adresse.
Il ne faut exiger des hommes et des esprits que ce qu'ils peuvent à chaque époque.
Tout gouvernement doit avoir son excès, et ne périt que lorsqu'il a atteint cet excès. Lorsque le signal est donné... chacun agit sans remords, sans répugnance ; on s'habitue à cela, comme le juge à envoyer les coupables au supplice, le médecin à voir des êtres souffrants sous son instrument, le général à ordonner le sacrifice de vingt mille soldats.
Tels sont les êtres vils qui s'acharnent sur les hommes de bien dès que le pouvoir leur en a donné le signal ! Aussitôt que les chefs ont jeté la première pierre, tout ce qui vit dans la fange se soulève, et accable la victime.
On ne va jamais qu'à la suite des étrangers qu'on appelle à son secours.
Tel est le sort des États : s'ils sont forts, ils font eux-mêmes leurs révolutions, mais ils en subissent tous les désastres et se noient dans leur propre sang; s'ils sont faibles, ils voient leurs voisins venir les révolutionner à main armée, et subissent tous les inconvénients de la présence des armées étrangères. Ils ne s'égorgent pas, mais ils payent les soldats qui viennent faire la police chez eux.
Il faut un grand esprit pour calculer ce qu'on doit aux circonstances, sans blesser les principes.
Il faut à l'esprit humain malade le lit plein de songes de la superstition : et à voir les fêtes, les processions qu'on institue, les autels et les saints sépulcres qui s'élèvent, il me semble qu'on ne fait que changer le lit du malade, seulement on lui retire l'oreiller de l'espérance d'une autre vie.
L'esprit de l'homme n'est pas fait de telle sorte qu'il cherche ainsi à tout simplifier par la franchise. Le parti vainqueur veut convaincre, et il ment ; un reste d'espoir engage l'esprit vaincu à se défendre, et il ment ; et on voit dans les discordes civiles, ces honteux procès, où le plus fort écoute pour ne pas croire, où le plus faible parle pour ne pas persuader, et demande la vie sans l'obtenir. C'est après l'arrêt prononcé, c'est après que tout espoir est perdu, que la dignité humaine se retrouve, et c'est à la vue du fer qu'on la voit reparaître toute entière.
On veut toujours le contraire de ce que veut un ennemi. Chaque parti veut que l'on comprenne et satisfasse ses passions, et ne veut ni comprendre ni admettre celles du parti contraire.
Le peuple dans un moment d'enivrement peut devenir impitoyable pour des victimes qu'il égorge lui-même ; mais voir expirer chaque jour cinquante à soixante malheureux, contre lesquels il n'est pas entraîné par la fureur, est un spectacle qui finit bientôt par l'émouvoir.
Telle est la triste condition de celui qui est engagé dans le mal qu'il ne peut plus s'y arrêter. Dès qu'il commence à concevoir un doute sur la nature de ses actions, dès qu'il peut entrevoir qu'il s'égare, au lieu de rétrograder, il se précipite en avant, comme pour s'étourdir, comme pour écarter les lueurs qui l'assiègent. Pour s'arrêter, il faudrait qu'il se calmât, qu'il s'examinât, et qu'il portât sur lui-même un jugement effrayant, dont aucun homme n'a le courage.
L'expérience a prouvé que la guerre interdisant les spéculations commerciales, et ne permettant plus que les spéculations sur les fonds publics, facilite les emprunts, loin de les rendre plus difficiles.
Le dernier effort que doit faire une autorité pour devenir absolue est toujours le plus difficile : il lui faut toute sa force pour vaincre la dernière résistance ; mais cette résistance vaincue, tout cède, tout se prosterne, elle n'a plus qu'à régner sans obstacle.
On se dissimule toujours l'inconvénient de ce qu'on préfère.
Il y a des dispositions, où tout devient cause, et les événements les plus involontaires ont des résultats qui font supposer la complicité où il n'en existe point.
Un dévot sans passions, sans les vices auxquels elles exposent, mais aussi sans le courage, la grandeur et la sensibilité qui les accompagnent ordinairement, un dévot ne vivant que de son orgueil et de sa croyance, se cachant au jour du danger, revenant se faire adorer après la victoire remportée par d'autres, est un des êtres les plus odieux qui aient dominé les hommes, et on dirait les plus vils, s'il n'avait eu une conviction forte et une intégrité reconnue.
La vie n'est rien pour l'homme qui estime ses devoirs au-dessus de tout ; mais après le bonheur de les avoir remplis, le seul bien auquel il soit encore sensible, est celui de penser, qu'il l'a fait avec fidélité ; et cela même est une obligation pour l'homme public.
C'est en voulant se mettre en défense contre un parti, qu'on l'irrite davantage, et qu'on précipite la catastrophe.
Le propre des hommes est d'avoir peur des dangers, quand ils sont passés, et de prendre des précautions contre ce qui ne peut plus être.
Aujourd'hui, une génération superficielle et ingrate critique les opérations (du gouvernement révolutionnaire), trouve les unes violentes, les autres contraires aux bons principes d'économie, et joint le tort de l'ingratitude à l'ignorance du temps et de la situation. Qu'on revienne aux faits, et qu'enfin on soit juste pour des hommes auxquels il en a coûté tant d'efforts et de périls pour nous sauver.
On ne sait jamais prévoir les sacrifices nécessaires, et en diminuer l'étendue en les faisant d'avance. Cette prévoyance et ce courage ont toujours manqué aux nations dans les crises financières.
Ce courage passif qui résiste, n'est pas cet autre courage actif, entreprenant, qui prévient les dangers, au lieu de les attendre avec résignation.
Les partis ne craignent pas les contradictions quand leur intérêt est compromis.
La contagion des idées et des mots est chez les Français d'une rapidité extraordinaire. Chez un peuple prompt et communicatif, l'idée qui occupe quelques esprits est bientôt l'idée qui les occupe tous : le mot qui est dans quelques bouches est bientôt dans toutes.
C'est la confiance qui hâte les travaux du commerce, qui fait arriver les denrées, et qui rend leur distribution égale et facile.
Les concessions, même les plus inévitables, sont toujours contestées.
Il n'y a ni force ni consistance sans un certain degré de concentration et d'unité.
Les communications des puissances portent comme toutes les relations entre les hommes, le caractère du temps, de la situation des individus qui gouvernent. Un gouvernement fort et victorieux parle autrement qu'un gouvernement faible et vaincu ; et il convient à une république appuyée sur la justice et la victoire, de rendre son langage prompt, net et public.
Une commission militaire à laquelle un gouvernement envoie des accusés importants ne sait jamais les lui rendre absous.
Les combats que se livrent les peuples par ordre des despotes ressemblent aux coups que deux amis, excités par un instigateur perfide, se portent dans l'obscurité ! Si le jour vient à paraître, ils s'embrassent et se vengent de celui qui les trompait.
Avant que l'humanité se jette dans la route de la civilisation, il y a un point de simplicité, d'ignorance et de pureté, où on voudrait l'arrêter, si son sort n'était de marcher à travers le mal vers tous les genres de perfectionnement.
Les circonstances font surgir les hommes.
Un chef de parti voudrait en vain cacher sa pensée, elle se répand de proche en proche et devient bientôt manifeste à tous les esprits.
Singulier exemple du caractère français, de son insouciance, de sa gaieté, de son aptitude au plaisir, dans toutes les situations de la vie.
Un brave homme ne demande pas son congé la veille de batailles.
Il faut admirer les batailles grandes par la conception ou le résultat politique ; mais il faut célébrer surtout celles qui sauvent. On doit l'admiration aux unes et la reconnaissance aux autres.
La banqueroute d'un État consiste à faire supporter à quelques individus, c'est-à-dire aux créanciers, la dette qu'on ne veut pas faire supporter à tous les contribuants.
L'audace est le propre du crime, le calme est celui de l'innocence.
Rien n'est plus dangereux pour une armée que des familles de fugitifs qu'elle est obligée de recevoir dans ses rangs. Elles embarrassent sa marche, ralentissent ses mouvements, et peuvent quelque fois compromettre son salut.
Une armée est toujours faite à l'image du général. Son esprit passe à ses officiers, et de ses officiers se communique à ses soldats.
Une armée se trouve quelque fois dans la situation du joueur qui veut regagner son argent, et qui s'expose à perdre encore pour recouvrer ce qu'il a perdu.
Une grande âme se communique à une vaste masse, et la remplit de son feu, en ne s'en fiant à personne de l'exécution de ses ordres ; en voulant tout voir, tout vérifier de ses yeux, tout animer de sa présence.
Les âmes vulgaires ou les hommes coupables craignent toujours de voir tomber leurs semblables, parce que n'ayant plus devant eux une barrière de coupables, ils restent exposés au jour de la vérité.
Un ambitieux n'a jamais d'humeur ; il s'irrite par les obstacles, s'empare du pouvoir et en écrase ceux qui l'ont outragé. Un rhéteur faible et vaniteux se dépite, et cède quand il ne trouve plus ni flatteries ni respects.
Un soldat ambitieux, qui est maître par son épée, et qui veut un trône, se hâte de caractériser son autorité le plus tôt qu'il peut, et d'ajouter les insignes de la puissance à la puissance même.
Les abrutis se mettent toujours au service du plus fort.
L'inaction est un crime aux yeux des partis qui veulent aller à leur but.
Ce qu'il y a de bienfaisance dans le cœur de l'homme est tout juste au niveau des misères humaines, et c'est tout au plus si les discours incessants de la morale et de la religion parviennent à égaler le remède au mal, le baume à la blessure.
J'aime ma patrie, mais j'aime aussi et j'aime tout autant mon siècle. Je me fais de mon siècle une patrie dans le temps comme mon pays en est une dans l'espace, et j'ai besoin de rêver pour l'un et l'autre un vaste avenir.