Il y a des maux effroyables et d'horribles malheurs où l'on n'ose penser, et dont la seule vue fait frémir : s'il arrive que l'on y tombe, l'on se trouve des ressources que l'on ne se connaissait point, l'on se raidit contre son infortune, et l'on fait mieux qu'on ne l'espérait.
Il est si ordinaire à l'homme de n'être pas heureux, et si essentiel à tout ce qui est un bien d'être acheté par mille peines, qu'une affaire qui se rend facile devient suspecte : l'on comprend à peine, ou que ce qui coûte si peu puisse nous être fort avantageux, ou qu'avec des mesures justes l'on doive si aisément parvenir à la fin que l'on se propose : l'on croit mériter les bons succès, mais n'y devoir compter que fort rarement.
Les hommes ne s'attachent pas assez à ne point manquer les occasions de faire plaisir : il semble que l'on n'entre dans un emploi que pour pouvoir obliger et n'en rien faire ; la chose la plus prompte et qui se présente d'abord, c'est le refus, et l'on n’accorde que par réflexion.
Le commun des hommes va de la colère à l'injure : quelques-uns en usent autrement : ils offensent, et puis ils se fâchent ; la surprise où l'on est toujours de ce procédé ne laisse pas de place au ressentiment.
Dire d'un homme colère, inégal, querelleux, chagrin, pointilleux, capricieux : « C'est son humeur, » n'est pas l'excuser, comme on le croit, mais avouer sans y penser que de si grands défauts sont irrémédiables.
L'incivilité n'est pas un vice de l'âme, elle est l'effet de plusieurs vices : de la sotte vanité, de l'ignorance de ses devoirs, de la paresse, de la stupidité, de la distraction, du mépris des autres, de la jalousie ; pour ne se répandre que sur les dehors, elle n'en est que plus haïssable, parce que c'est toujours un défaut visible et manifeste ; il est vrai cependant qu'il offense plus ou moins, selon la cause qui le produit.
Un homme inégal n'est pas un seul homme, ce sont plusieurs : il se multiplie autant de fois qu'il a de nouveaux goûts et de manières différentes ; il est à chaque moment ce qu'il n'était point, et il va être bientôt ce qu'il n'a jamais été : il se succède à lui-même.
Les hommes semblent être nés pour l'infortune, la douleur et la pauvreté, peu en échappent.
À quelques hommes l'arrogance tient lieu de grandeur, l'inhumanité de fermeté, et la fourberie d'esprit.
Les hommes agissent mollement dans les choses qui sont de leur devoir, pendant qu'ils se font un mérite, ou plutôt une vanité, de s'empresser pour celles qui leur sont étrangères, et qui ne conviennent ni à leur état ni à leur caractère.
Les hommes, en un même jour, ouvrent leur âme à de petites joies, et se laissent dominer par de petits chagrins ; rien n'est plus inégal et moins suivi que ce qui se passe en si peu de temps dans leur cœur et dans leur esprit. Le remède à ce mal est de n'estimer les choses du monde précisément que ce qu'elles valent.
Il est aussi difficile de trouver un homme vain qui se croie assez heureux qu'un homme modeste qui se croie trop malheureux.
Les hommes, bien souvent, se laissent devancer par d'autres qui sont partis après eux, et qui marchent plus lentement, mais constamment.
La paresse des hommes ou leur inconstance leur fait perdre le fruit des meilleurs commencements.
La plupart des hommes, pour arriver à leurs fins, sont plus capables d'un grand effort que d'une longue persévérance.
Lorsqu'on désire, on se rend à discrétion à celui de qui l'on espère ; est-on sûr d'avoir, on temporise, on parlemente, on capitule.
Toute jalousie n'est point exempte de quelque sorte d'envie.
Les enfants n'ont ni passé ni avenir, ils jouissent du présent.
Un vieillard est fier, dédaigneux, et d'un commerce difficile, s'il n'a beaucoup d'esprit.
Le souvenir de la jeunesse est tendre dans les vieillards.
Il ne faut ni vigueur, ni jeunesse, ni santé pour être avare.
Si la pauvreté est la mère des crimes, le défaut d'esprit en est le père.
On ne trompe point en bien ; la fourberie ajoute la malice au mensonge.
On ne vit point assez pour profiter de ses fautes.
C'est une grande difformité dans la nature qu'un vieillard amoureux.
À quelques-uns l'arrogance tient lieu de grandeur.
La moquerie est de toutes les injures celle qui se pardonne le moins.
Il y a une espèce de honte d'être heureux à la vue de certaines misères.
La plupart des hommes emploient la meilleure partie de leur vie à rendre l'autre misérable.
II coûte moins à certains hommes de s'enrichir de mille vertus, que de se corriger d'un seul défaut.
L'envie et la haine s'unissent toujours et se fortifient l'une l'autre.
La fausse modestie est le dernier raffinement de la vanité.
L'ennui est entré dans le monde par la paresse.
L'on craint la vieillesse, que l'on n'est pas sûr de pouvoir atteindre.
La vie est courte et ennuyeuse : elle se passe toute à désirer, et l'on remet à l'avenir son repos et ses joies, à cet âge souvent où les meilleurs biens ont déjà disparu, la santé et la jeunesse.
Il y a entre la jalousie et l'émulation le même éloignement qu'entre le vice et la vertu.
Si la pauvreté est mère des crimes, le défaut d'esprit en est le père.