Victor Levère.

L'ennemi vous pend ou vous noie ; le faux ami arrive toujours le lendemain pour couper la corde ou vous reconnaître à la Morgue.

Les hommes peuvent affirmer que la seule présence de leurs soeurs suffit pour les empêcher de vivre en frères.

L'éducation est un vernis dont on enduit bon nombre de pots.

Les mauvais payeurs placent toujours, pour les y oublier, leurs anciennes dettes derrière les nouvelles.

J'ai six amis ; un pour chaque jour de la semaine, mais je n'ai pu encore en trouver un assez bien habillé de bons sentiments pour oser le promener le dimanche.

Dans toute organisation sociale les pauvres diables n'ont qu'un bénéfice à espérer : celui qui résulte du bien-être qui leur est infligé en dépit d'eux-mêmes.

Il est des fanatiques du progrès qui, dans leur rage impuissante d'innovations, substitueraient une lanterne au soleil.

Tout le monde parle de liberté, et chacun cherche une servitude ou un serviteur.

Que devient la liberté en présence de l'obligation pressante où se trouvent des hommes de se tenir sous le joug d'une mutuelle dépendance ?

Je croirai à la possibilité de l'égalité le jour où l'on me présentera un homme convaincu qu'il n'est pas supérieur à ses égaux.

Si vous coudoyez jamais l'orgueil sur le chemin de la vanité, sachez le pousser vers le ridicule en lui cédant toujours le haut du pavé.

Si j'étais juge et conséquemment fort exposé à perdre ma part de paradis, j'irais chercher la cause déterminante du délit jusque dans les premiers vagissements de celui qui s'en serait rendu coupable.

Mieux vaut cent fois exercer la charité sans discernement que d'en renfermer les élans dans un doute égoïste.

Derrière ce que l'on nous offre, cherchons toujours ce que l'on nous demande.

Si vous ne voulez être trompé, soyez toujours en garde contre les cajoleries de la femme, les protestations de l'amitié et la bonne opinion de vous-même.

Le pédantisme est comme un habit mal taillé, il sied mal à tout le monde.

L'esprit s'égare si facilement hors des limites de la vérité que l'homme sensé doit le nourrir d'autant de pensées qu'il en faut pour qu'il s'en trouve dans le nombre une de juste.

Les planètes, ces ombres colossales de l'univers, roulent, sans jamais les combler, dans les abîmes de l'infini ; les grandes lumières des astres invisibles s'effacent tour à tour sous d'épaisses ténèbres ; le temps fuit, la mort le précède et le suit, la vie s'écoule, tout s'en va, tout court à l'éternel oubli ; seule, l'humanité, perdue dans ce prodigieux tourbillon du néant, ose se regarder passer.

Lugubre suicide : Lorsque la mort n'aura plus rien à détruire, elle s'anéantira avec le dernier des vivants.

Pour résister aux vicissitudes de la vie, il convient de leur opposer la pensée de la mort.

Quiconque a retrempé son âme aux plus rudes épreuves de la vie, a beaucoup appris : il sait mourir.

Comparée au temps sans limites, la vie n'existe pas ; par rapport au soleil qui l'éclaire, c'est un soupir muet exhalé dans la mort ; par rapport à Dieu, c'est le néant qui précède d'un jour la résurrection de l'âme dans l'éternelle félicité.

Si la vie est le dernier des outrages, la mort en est la première réparation.

Lorsque la vie a conduit un de ses déshérités jusqu'au seuil de l'éternité, celui-ci devrait se retourner et lui cracher au visage.

L'envie est la mère de presque toutes les inimitiés.

Les passions sont des filles indociles de la raison qui se prostituent en dépit de leur mère.

Il en est de la reconnaissance comme d'une vieille dette dont le mauvais payeur se souvient parfois, mais qu'il acquitte rarement.

L'athée me produit l'effet d'un nautonier dont la nacelle glisserait la nuit entre deux firmaments sur les eaux tranquilles d'un lac, et qui, dédaignant d'élever ses regards vers la vérité, s'obstinerait à la chercher au fond des ondes.

L'envie est le ver rongeur des esprits étroits.

En amour je ne vois que des égarés et rarement des coupables.

L'amour est trop naïf à vingt ans, trop sérieux à quarante, trop ridicule à soixante. On tenterait vainement d'assigner l'âge auquel il est raisonnable.

On aime le bien pour ce qu'il promet ; on pratique le mal pour ce qu'il rapporte.

Les vices les plus bas ne deviennent incurables que parce qu'ils s'affermissent par l'exemple d'iniquités plus basses encore.

La conscience est souvent citée au tribunal de la raison, mais elle y est rarement entendue.

L'inimitié de deux hommes sans cause sérieuse prouve la supériorité de l'un sur l'autre et l'infériorité d'esprit de chacun d'eux.

Je cherche un homme digne d'être mon ami, et lorsque je l'aurai trouvé, je me croirai indigne d'être le sien.

Une femme peut être fidèle le matin, parjure à midi, repentante le soir, mais rarement sûre d'elle-même pour le lendemain.

La femme est à l'homme ce qu'est la fumée à l'air qu'elle domine par sa légèreté.

Le miroir dit à la beauté tout ce qu'il pense ; la laideur pense tout ce qu'il dit à la beauté.

Les femmes poussent parfois l'amour jusqu'à l'héroïsme, les hommes jusqu'à la sottise.

Heureux celui qui préfère aux femmes que l'on aime celles qui se font aimer.

Lorsque s'offre à ma vue une femme dont les épaules et les bras nus ruissellent de pierreries, il me semble voir les larmes indignées de la misère scintiller sous le regard flamboyant de Dieu !

La morale endort les vices, les mauvais exemples les réveillent.

L'homme a le droit moral d'oublier à tout âge le mal qu'il a fait s'il veut ne songer qu'au bien qu'il peut faire.

Il n'est pas dans le domaine de la morale de cavalier plus facile à désarçonner que celui qui se vante sans cesse d'être à cheval sur les moeurs.

Le bonheur s'envisage de tant de façons qu'il devient impossible de savoir quelle est la vraie façon de l'envisager.

Nous ne jouissons pas de notre part de bonheur ; nous passons notre temps à la mesurer à celle de ceux que nous croyons toujours mieux favorisés.

Nous voyons le bonheur bien souvent où nous ne sommes pas, et d'autres le voient où nous sommes.

Le bonheur a beau nous crier : — Par ici ! nous trouvons toujours mauvais le chemin qu'il indique.

La modestie ne va pas au-delà de ce raisonnement intime : Je ne crois pas valoir mieux que mon prochain ; mais je serais fâché que mon prochain eût la prétention de croire valoir mieux que moi.

Ceux qui signalent un acte de probité en louant outre mesure ce qui n'est qu'une simple obligation morale se doutent-ils qu'en érigeant le devoir en phénomène ils encouragent toutes les licences de l'improbité.

Pour être vraiment honnête, il faut joindre à toutes les délicatesses d'une conscience exempte d'artifices celle d'ignorer ce que l'on vaut par rapport aux autres.

Entre les gens réputés honnêtes et ceux qui ne le sont pas se place la foule innombrable de ceux qui s'imaginent l'être.

Pourquoi les vices sont-ils si gras et les vertus si maigres ? C'est que nos passions servant le superflu aux premiers laissent les secondes manquer du nécessaire.

L'amitié a ses heures de sincérité, mais il n'existe pas de cadran qui les indique.

Je déclare honnête tout homme âgé de plus de quarante ans qui, une heure en sa vie, a songé sérieusement à le devenir.

Il est rare qu'entre l'accusateur et l'accusé la vérité ne marche pas entrainée par la haine.

Quel est l'homme dont la misère s'accroit en même temps que la fortune ? C'est l'avare, qui ne possède rien dont il ne soit possédé.

Rien n'est inégal comme l'égalité.

L'espérance s'exile du cœur sceptique comme le papillon de la rose desséchée.

Il faut s'éloigner du doute religieux comme d'un hôte dangereux qui n'apporte aucun dédommagement aux tourments qu'il nous cause.

Les athées auront beau faire, le mot suprême dans ce monde est : espérance !

Douter de Dieu, c'est mourir dans la vie ; croire en lui, c'est vivre dans la mort.

Ne pas savoir chercher la vie au-delà de la mort, c'est chercher la mort dans la vie.

La piété dédommage les déshérités de la vie en leur permettant d'envisager la mort sans terreur.

J'excuse tous les travers de la femme que l'on est convenu d'appeler un être faible en songeant aux défauts sans nombre de l'homme que l'on est convenu d'appeler un être fort.

L'homme dit beaucoup de mal de la femme et en pense peu ; la femme dit beaucoup de mal de l'homme et en pense davantage.

Le moyen de s'affranchir de certaines exigences féminines consiste à leur opposer toutes les apparences d'une aveugle soumission.

Suffit-il d'être aimable pour être digne d'être aimé ? Non, il faut encore être aimant.

Il est dans le domaine de l'amour moins d'écueils dangereux que de pilotes inhabiles.

Pour être aimé des femmes légères, il ne s'agit que de s'attacher à ne pas mériter leur amour.

La femme qui s'endort sur une pensée de vengeance se réveille pour l'accomplir.

Les hommes font volontiers par vanité le récit de leurs galantes équipées ; les femmes, au contraire, gardent fidèlement leurs secrets de la veille, et ne laissent rien deviner de leurs projets du lendemain.

L'homme ment, il est vrai, mais la femme est menteuse.

Pour mentir en amour, la femme use toujours de nouvelles finesses, tandis que l'homme n'a recours qu'à des finesses usées.

S'il est des hommes qui aiment les femmes pour ce qu'elles valent, il est trop de femmes qui aiment les hommes pour ce qu'ils ne valent pas.

Les défaillances des femmes tiennent moins à la légèreté de leur esprit qu'à la sensibilité de leur cœur.

L'homme affirme la fragilité de la femme et met toute sa gloire à triompher de sa vertu.

Les femmes simplement belles sont toujours désirées, mais rarement aimées.

L'amour est une comédie qui compte autant de dupes que de personnages.

Les femmes nous aiment moins pour les qualités qu'elles distinguent en nous que pour celles qui sont distinguées par les autres.

Les yeux et les cœurs s'entendent sans se parler.

C'est préparer son propre bonheur que de ne pas envier celui des autres.

Le bonheur est un papillon qui se pose un peu partout et ne se fixe nulle part.

N'usez de la plaisanterie qu'avec les gens d'esprit.

La bonté persévérante finit par élever le cœur à des hauteurs où l'ingratitude ne saurait l'atteindre.

L'homme vraiment vertueux est indulgent pour les faiblesses des autres.

Restreindre le nombre des gens que l'on connaît, c'est diminuer le nombre de ses détracteurs.

L'homme passe sa vie à déplorer ses sottises de la veille, à faire celles du jour, et à préparer celles du lendemain.

L'homme, quel qu'il soit, est peu de chose, et l'on peut affirmer qu'il n'a le sentiment exact de sa valeur que lorsqu'il ne se croit rien.

S'il était permis d'admettre que Dieu ne fût qu'un sublime mensonge, il faudrait encore le vénérer comme la plus consolante des vérités.

Les quatre-vingt-dix-neuf centièmes de l'engeance humaine seront toujours composés d'imbéciles dont le jugement restera éternellement favorable à la sottise.

L'égoïste ne voit dans les souffrances d'autrui que celles qui pourraient l'atteindre lui-même.