On veut toujours le contraire de ce que veut un ennemi. Chaque parti veut que l'on comprenne et satisfasse ses passions, et ne veut ni comprendre ni admettre celles du parti contraire.
Le peuple dans un moment d'enivrement peut devenir impitoyable pour des victimes qu'il égorge lui-même ; mais voir expirer chaque jour cinquante à soixante malheureux, contre lesquels il n'est pas entraîné par la fureur, est un spectacle qui finit bientôt par l'émouvoir.
Telle est la triste condition de celui qui est engagé dans le mal qu'il ne peut plus s'y arrêter. Dès qu'il commence à concevoir un doute sur la nature de ses actions, dès qu'il peut entrevoir qu'il s'égare, au lieu de rétrograder, il se précipite en avant, comme pour s'étourdir, comme pour écarter les lueurs qui l'assiègent. Pour s'arrêter, il faudrait qu'il se calmât, qu'il s'examinât, et qu'il portât sur lui-même un jugement effrayant, dont aucun homme n'a le courage.
Un malheur attaché à l'espèce humaine est de n'avoir d'énergie que quelques jours seulement.
L'expérience a prouvé que la guerre interdisant les spéculations commerciales, et ne permettant plus que les spéculations sur les fonds publics, facilite les emprunts, loin de les rendre plus difficiles.
En état convulsif, toutes les émotions se succèdent dans le cœur de l'homme.
Le dernier effort que doit faire une autorité pour devenir absolue est toujours le plus difficile : il lui faut toute sa force pour vaincre la dernière résistance ; mais cette résistance vaincue, tout cède, tout se prosterne, elle n'a plus qu'à régner sans obstacle.
Ce n'est jamais sans de grandes douleurs qu'on opère rapidement, et qu'on sauve un état menacé.
Si dans la discussion, la diversité des avis est utile, elle est déplorable dans l'exécution.
On se dissimule toujours l'inconvénient de ce qu'on préfère.
Il y a des dispositions, où tout devient cause, et les événements les plus involontaires ont des résultats qui font supposer la complicité où il n'en existe point.
C'est la dignité qui impose aux hommes, tandis que le génie ne fait que les saisir.
Un dévot sans passions, sans les vices auxquels elles exposent, mais aussi sans le courage, la grandeur et la sensibilité qui les accompagnent ordinairement, un dévot ne vivant que de son orgueil et de sa croyance, se cachant au jour du danger, revenant se faire adorer après la victoire remportée par d'autres, est un des êtres les plus odieux qui aient dominé les hommes, et on dirait les plus vils, s'il n'avait eu une conviction forte et une intégrité reconnue.
La vie n'est rien pour l'homme qui estime ses devoirs au-dessus de tout ; mais après le bonheur de les avoir remplis, le seul bien auquel il soit encore sensible, est celui de penser, qu'il l'a fait avec fidélité ; et cela même est une obligation pour l'homme public.
Il n'y a pas de gouvernement au monde qui eût réussi à empêcher les désertions en temps de paix.
C'est en voulant se mettre en défense contre un parti, qu'on l'irrite davantage, et qu'on précipite la catastrophe.
Le propre des hommes est d'avoir peur des dangers, quand ils sont passés, et de prendre des précautions contre ce qui ne peut plus être.
Aujourd'hui, une génération superficielle et ingrate critique les opérations (du gouvernement révolutionnaire), trouve les unes violentes, les autres contraires aux bons principes d'économie, et joint le tort de l'ingratitude à l'ignorance du temps et de la situation. Qu'on revienne aux faits, et qu'enfin on soit juste pour des hommes auxquels il en a coûté tant d'efforts et de périls pour nous sauver.
On ne sait jamais prévoir les sacrifices nécessaires, et en diminuer l'étendue en les faisant d'avance. Cette prévoyance et ce courage ont toujours manqué aux nations dans les crises financières.
Plus un homme a de courage et de patriotisme, plus les ennemis de la chose publique s'attachent à sa perte.
Ce courage passif qui résiste, n'est pas cet autre courage actif, entreprenant, qui prévient les dangers, au lieu de les attendre avec résignation.
Les partis ne craignent pas les contradictions quand leur intérêt est compromis.
La contagion des idées et des mots est chez les Français d'une rapidité extraordinaire. Chez un peuple prompt et communicatif, l'idée qui occupe quelques esprits est bientôt l'idée qui les occupe tous : le mot qui est dans quelques bouches est bientôt dans toutes.
Les hommes qui se présentent pour opérer des changements dans une constitution sont toujours les plus prononcés de leur parti.
C'est la confiance qui hâte les travaux du commerce, qui fait arriver les denrées, et qui rend leur distribution égale et facile.
Les concessions, même les plus inévitables, sont toujours contestées.
Il n'y a ni force ni consistance sans un certain degré de concentration et d'unité.
Les communications des puissances portent comme toutes les relations entre les hommes, le caractère du temps, de la situation des individus qui gouvernent. Un gouvernement fort et victorieux parle autrement qu'un gouvernement faible et vaincu ; et il convient à une république appuyée sur la justice et la victoire, de rendre son langage prompt, net et public.
Une commission militaire à laquelle un gouvernement envoie des accusés importants ne sait jamais les lui rendre absous.
Les combats que se livrent les peuples par ordre des despotes ressemblent aux coups que deux amis, excités par un instigateur perfide, se portent dans l'obscurité ! Si le jour vient à paraître, ils s'embrassent et se vengent de celui qui les trompait.
Il est quelque fois des cœurs comme des fleuves, qui se réunissent sans confondre leurs eaux.
Avant que l'humanité se jette dans la route de la civilisation, il y a un point de simplicité, d'ignorance et de pureté, où on voudrait l'arrêter, si son sort n'était de marcher à travers le mal vers tous les genres de perfectionnement.
Les circonstances font surgir les hommes.
Un chef de parti voudrait en vain cacher sa pensée, elle se répand de proche en proche et devient bientôt manifeste à tous les esprits.
Singulier exemple du caractère français, de son insouciance, de sa gaieté, de son aptitude au plaisir, dans toutes les situations de la vie.
Un brave homme ne demande pas son congé la veille de batailles.
Il faut admirer les batailles grandes par la conception ou le résultat politique ; mais il faut célébrer surtout celles qui sauvent. On doit l'admiration aux unes et la reconnaissance aux autres.
La banqueroute d'un État consiste à faire supporter à quelques individus, c'est-à-dire aux créanciers, la dette qu'on ne veut pas faire supporter à tous les contribuants.
L'audace est le propre du crime, le calme est celui de l'innocence.
À la suite d'un grand événement, l'attente publique devient un besoin irrésistible qu'il faut satisfaire.
L'athéisme est aristocratique. L'idée d'un grand Être, qui veille sur l'innocence opprimée et qui punit le crime triomphant, est tout populaire.
Rien n'est plus dangereux pour une armée que des familles de fugitifs qu'elle est obligée de recevoir dans ses rangs. Elles embarrassent sa marche, ralentissent ses mouvements, et peuvent quelque fois compromettre son salut.
Une armée est toujours faite à l'image du général. Son esprit passe à ses officiers, et de ses officiers se communique à ses soldats.
Toute armée est attachée au gouvernement qui l'organise, l'entretient, la récompense.
Une armée se trouve quelque fois dans la situation du joueur qui veut regagner son argent, et qui s'expose à perdre encore pour recouvrer ce qu'il a perdu.
Avec de l'argent on pourra toujours se passer d'assignats, tandis qu'il est impossible avec des assignats de se passer d'argent.
L'anarchie menace les républiques à leur naissance et dans leur vieillesse.
Une grande âme se communique à une vaste masse, et la remplit de son feu, en ne s'en fiant à personne de l'exécution de ses ordres ; en voulant tout voir, tout vérifier de ses yeux, tout animer de sa présence.
Les âmes vulgaires ou les hommes coupables craignent toujours de voir tomber leurs semblables, parce que n'ayant plus devant eux une barrière de coupables, ils restent exposés au jour de la vérité.
On n'avoue pas à la face du monde l'ambition de voies machiavéliques.
Un ambitieux n'a jamais d'humeur ; il s'irrite par les obstacles, s'empare du pouvoir et en écrase ceux qui l'ont outragé. Un rhéteur faible et vaniteux se dépite, et cède quand il ne trouve plus ni flatteries ni respects.
Un soldat ambitieux, qui est maître par son épée, et qui veut un trône, se hâte de caractériser son autorité le plus tôt qu'il peut, et d'ajouter les insignes de la puissance à la puissance même.
Il n'y a aucune alliance possible entre le crime et la vertu.
Dans un état d'agitation, l'on suppose à ses adversaires tous les projets qu'on en redoute.
Tout changement trop brusque dans les valeurs amène les spéculations hasardeuses, c'est-à-dire l'agiotage.
C'est lorsqu'on a le plus à faire qu'on est le plus capable de beaucoup faire.
Les partis se rendent absurdité pour absurdité.
Les abrutis se mettent toujours au service du plus fort.
L'inaction est un crime aux yeux des partis qui veulent aller à leur but.
Ce qu'il y a de bienfaisance dans le cœur de l'homme est tout juste au niveau des misères humaines, et c'est tout au plus si les discours incessants de la morale et de la religion parviennent à égaler le remède au mal, le baume à la blessure.
J'aime ma patrie, mais j'aime aussi et j'aime tout autant mon siècle. Je me fais de mon siècle une patrie dans le temps comme mon pays en est une dans l'espace, et j'ai besoin de rêver pour l'un et l'autre un vaste avenir.