Ce n'est pas toujours un plaisir d'écrire, du moins quand on en fait métier. Pour un jour de grâce où l'enthousiasme, la fureur, l'émotion se chargent de tout, il y a dix jours où les mots se mettent debout tandis que les idées se couchent et alors comment les faire coïncider ? Dix jours où l'on creuse dans la brume pour atteindre là, qui vous nargue, l'éternellement informulé. Dix jours où les adjectifs, cette acné de l'écriture, se mettent à pousser au creux de chaque phrase. Dans ce cas, dira-t-on, il serait plus simple de s’abstenir. Plus simple, oui. Mais à écrire rarement, on se donne des airs de délivrer des encycliques. Le rassurant, dans la périodicité quotidienne ou hebdomadaire à laquelle s'astreignent la plupart des éditorialistes, c'est que le lecteur vous pardonne d'arriver parfois au rendez-vous en mauvaise forme, pâle sous le maquillage du style. L'inquiétant est que si l'on renâcle une fois, fourbu, aucun soulagement n'en résulte. Au contraire. C'est le fiasco, au sens où Stendhal l'entendait. Tout ceci pour dire que, pendant les deux cent trente-deux semaines où j'ai publié, corsetée dans une page de L'Express, un nombre égal de lignes, j'ai roulé des milliers de mots pour tenter d'y emprisonner la couleur du temps, et parfois j'ai réussi, et parfois j'ai échoué — comment faire autrement ? Ecris vite pour être lus vite, il se peut que ces articles souffrent mal d'être relus, qu'ils se répètent, ou se contredisent, ou encore que, loin de l'évènement, ils se soient fanés. Je ne sais pas. Je les publie sans retouche, sans y rien retrancher par opportunité ou par coquetterie, sachant le risque que je prends à la lecture différée de ce qui fut le reflet d'un moment, d'un jour, d'une heure de notre vie dans le miroir de mon humeur. Car on le dit fou, celui qui veut fermer la main sur une poignée d'eau,a écrit Françoise Giroud. (Extrait de : Une poignée d'eau, livre publié en 1973.)