Une jolie femme qui possède grâce et beauté ne passe pas inaperçue.
La grandeur et la petitesse des choses étant toujours relatives à la position de celui qui les apprécie, il est impossible de leur assigner une valeur absolue.
Dans notre obscurité l'amour-propre tient toujours en réserve une consolation ; elle consiste à nous rendre justice à nous-mêmes, et à maudire la destinée ou la méchanceté des hommes, si les innombrables germes de grandeur dont la nature nous avait doués sont restés stériles et n'ont poussé aucunes racines.
Une punition immédiate et humiliante infligée à un enfant a quelque chose de fatal ; c'est le châtiment qui succède rapidement à une grande faute ; et, dans les desseins de la Providence divine (si la comparaison m'est permise), cela correspond à ces attaques d'apoplexie qui frappent le cerveau de certains pécheurs notoirement scandaleux.
Le luxe est permis, à condition toutefois de ne pas dégénérer en vice ; mais la propreté est un devoir pour tous les hommes civilisés, sans distinction entre les riches et les pauvres.
L'innocent porte souvent la peine encourue par le coupable.
L'écrivain peut quelquefois trouver un grand profit à composer cent volumes ; mais l'expérience prouve que cette fécondité coûte au lecteur tout ce que l'autre y gagne.
Nul ne peut savoir quelle part du ciel l'espérance apporte avec elle quand elle descend des hautes régions pour nous consoler, si ce n'est celui qui n'a plus au monde d'autre bien que l'espérance.
Tous les mystères aiment le silence, surtout les mystères de la douleur.
La justice a le devoir de distinguer parce qu'elle punit ; la charité confond le coupable avec l'innocent, et dit à l'innombrable famille des affligés : Qui que vous soyez, vous dont l'âme est abîmée dans la douleur, venez boire à la source des consolations.
On a tort de répéter à tout propos la méchante épigramme que le mariage nait de l'amour comme le vinaigre naît du vin, car il arrive souvent que l'amour, comme s'il tenait de la nature du bombyx, ne produit de soie que lorsqu'il a perdu ses ailes.
Tant que l'amour porte des ailes et vole capricieusement dans l'espace sa vie est tissue du parfum de l'innombrable famille des fleurs ; mais les fleurs passent et les tièdes journées avec elles. Bientôt surviennent les jours sombres : le soleil est pâle, l'atmosphère est âpre, et l'homme ne peut plus réchauffer ses membres engourdis qu'en jetant de ses propres mains du bois dans son foyer, réchauffer son cœur glacé qu'au contact des affections intimes.
L'homme heureux, que la fortune tient élevé sur le haut de sa roue, ne sait jamais s'il est véritablement aimé, parce qu'il est entouré de vrais et de faux amis, qui tous lui témoignent le même attachement ; mais vient-il à éprouver quelque revers, aussitôt la tourbe des flatteurs disparait. Celui- là seul qui aime d'un cœur sincère reste fermement attaché à son maître, et le chérit encore après sa mort.
Celui-là doit se plaindre qui s'est rendu l'esclave de deux beaux yeux, d'une belle chevelure, qui cachent un cœur pervers, une âme basse et vicieuse. Le malheureux voudrait fuir ; il est comme un cerf, qui emporte partout avec lui le trait qui l'a blessé : honteux de lui-même et de sa faiblesse, il n'ose en parler, et fait d'inutiles efforts pour en guérir.
La pratique d'une même passion crée de solides liens entre deux hommes.
En Italie, on sent l'amour, on le subit ; en France, on le discute, on le calcule. Je ne dis pas que les Françaises n'aiment point : la femme est partout un trésor inépuisable de bonté ; mais elles aiment moins que les Italiennes, et elles se livrent... plus facilement ?... Je veux être généreux, et je dis : Pas moins !
L'amour est un lien que Dieu forme par le moyen de la nature ; il doit donc résister à toutes les considérations, à tous les préceptes, à tous les préjugés sociaux.
Les fortes sensations, contenues avec effort au-dedans de nous, oppressent notre cœur ; un sein ami, dans lequel nous puissions verser le trop plein de nos joies et de nos douleurs, est un bienfait de la Providence envers ceux qu'elle protège.
Quoique la dissimulation soit ordinairement blâmable, et qu'elle soit la marque d'un mauvais cœur, il y a cependant bien des occasions où elle a procuré des avantages évidents. Souvent elle a garanti de bien des dangers, du blâme et même de la mort ; car, dans cette vie mortelle, sans cesse exposée aux traits de l'envie, et dont les jours sont plus nébuleux que sereins, on n'a pas toujours à traiter avec des amis.
Le berger est l'ami du troupeau, le loup en est l'ennemi, et tous deux vivent à ses dépens. Donc, pour les pauvres moutons, ami ou ennemi, c'est tout un, et voilà comment les extrêmes se touchent !
Le chant du rossignol, les parfums de l'aubépine et de la violette des bois donnent à l'âme un bien-être que la vertu, la science et la sagesse devraient seules raisonnablement lui procurer.
Les beautés de la nature sont dans l'âme de celui qui les observe ; les objets extérieurs ne font qu'éveiller l'harmonie de l'instrument interne disposé par Dieu même. Le paysage le plus triste nous renvoie, nous ramène à quelque paysage splendide dont nous avons goûté le charme autrefois, ou dont la beauté n'avait point frappé notre regard indifférent. Tel l'enfant dort son sommeil insoucieux dans un berceau de fleurs.
Lorsque le plaisir ou la douleur affecte quelqu'une de nos facultés sur laquelle l'âme se concentre tout entière, celle-ci paraît ne plus s'apercevoir de ce qu'éprouvent les autres ; et cela détruit l'erreur de ceux qui prétendent qu'une âme s'allume en nous à côté d'une autre âme. C'est pourquoi, lorsqu'on entend ou qu'on voit quelque chose qui tient l'âme fortement absorbée, le temps passe sans que l'on s'en aperçoive ; car autre est la faculté occupée, autre celle qui ne l'est pas : l'une est comme enchaînée, l'autre est libre.
L'expérience nous apprend trop tard qu'il aurait mieux valu mettre la main à de petites choses que de passer toute notre vie à rechercher pour quelles grandes choses nous sommes nés.
Ne vous fiez pas à ceux qui prêchent si haut en faveur de la liberté, parce qu'il n'en est peut-être pas un seul qui n'ait en vue son intérêt particulier ; l'expérience a montré mille fois que, s'ils attendaient du despotisme quelque chose de meilleur pour eux, ils vous y mèneraient tout droit.
Celui qui est prêt pour attaquer perd toujours à attendre.
Il n'est rien dont nous nous lassions plus vite que l'admiration donnée de confiance.
Pressés par l'actualité de leurs besoins, les hommes, tant qu'ils ont été occupés à trouver un moyen de les satisfaire, n'ont pas eu le loisir de réfléchir. C'est pour cela que, en toute chose, ils ont commencé par agir et fini par penser.
C'est surtout dans les cercles du beau monde que les absents ont toujours tort ; on ne parvient à imposer silence aux médisants qu'en répondant à leurs méchants propos par un front impassible et une contenance assurée.
Pour bien juger les autres, il faudrait savoir se juger soi-même ; or, l'amour-propre est toujours là, couvrant nos défauts de son voile et prêt à déchirer le voile qui couvre les défauts des autres.
L'amour peut se comparer à la balle d'un jeu de paume ; il faut être à une certaine distance pour se la renvoyer : quand les deux joueurs se rapprochent trop l'un de l'autre, la balle tombe à terre.
On prétend que les hommes ont plus de penchant pour le mal que pour le bien. Cela n'est pas ; mais, comme un faux système d'éducation s'oppose au développement normal de leur intelligence, ils restent toute leur vie de grands enfants qui marchent de travers.
Ô race humaine ! pourquoi mets-tu ton cœur en des biens dont on ne peut jouir qu'à condition d'en éviter le partage ?
Toute histoire bien racontée est un roman ; tout roman bien conduit ressemble à l'histoire. Un proverbe bien connu dit : « Si cela n'est pas vrai, c'est bien inventé. » La proposition inverse n'est pas moins juste : Si cela est bien inventé, c'est vrai !
L'homme est un loup pour l'homme, et jamais une nation n'a reçu d'une nation étrangère que des insultes et des dommages.
Un ancien philosophe disait qu'il n'y a pas sur la terre de spectacle plus sublime que celui de l'homme vertueux aux prises avec l'adversité. C'est peut-être là un spectacle très agréable pour les dieux ; quant au monde, il ne fait tout au plus que confirmer le titre de grand et de bon sur la tête de ceux à qui le hasard en a donné le diplôme.
Nous reconnaissons qu'un mauvais gouvernement peut exercer une influence corruptrice et fatale ; mais le proverbe dit que « si un enfant suffit pour conduire un cheval à l'abreuvoir, vingt hommes ne peuvent forcer l'animal à boire ». Donc, si les gouvernements pratiquent de coupables séductions, il faut reconnaitre qu'ils ont trop souvent affaire à des gens tout disposés à se laisser séduire.
On dit que le peuple français est celui qui se laisse prendre le plus facilement aux jongleries du pouvoir ; à mon sens, cela prouve qu'il ne faut pas un grand génie pour tromper ceux qui ne demandent pas mieux que d'être trompés ; la politique se réduit donc à l'art d'amuser des enfants.
Quoique inhabile à feindre, on peut très bien dissimuler ; une expression de visage, neutre, passive, grave, sombre, permet de cacher toutes ses émotions.
J'estime plus le savetier qui raccommode moyennant salaire la chaussure du ministre, que l'avocat qui vient la lécher en sollicitant un emploi.
L'homme qui est sûr de pouvoir facilement se faire aimer possède un incontestable avantage ; mais celui-là n'est pas doué d'un moindre privilège qui a la con science de pouvoir se faire craindre. Dans quatre-vingt-dix -neuf cas sur cent, la crainte exerce sur nos semblables plus d'influence que l'amour.
L'instinct du peuple est comparable à celui du cheval qui rue contre la cravache quand il ne peut atteindre celui qui la tient. Les exécuteurs des lois portent toujours la peine de l'exécration due à celui qui les impose ; et le degré de civilisation et d'autonomie, auquel est parvenue une nation, peut toujours être apprécié d'après le respect et la sympathie qui entourent les agents de la force publique.
L'appel fait à notre amour-propre est toujours entendu, lors même qu'il émane de la personne qui nous inspire le moins d'estime.
À tout homme du tempérament fougueux d'Oreste, il faut un ami doué de la patience obséquieuse de Pylade, ayant quelque chose du naturel du chien, prêt à subir les rebuffades, heureux d'avoir un maitre et de lui lécher la main, soit qu'il en reçoive des coups ou des caresses.
Si tous les fous portaient le bonnet blanc, nous ressemblerions à un troupeau d'oies.
L'ambition est une arme à deux tranchants, mais elle offre un manche à quiconque a l'adresse de la saisir. La gloire n'est qu'une ombre, une fumée ; mais cette ombre atteste l'existence du corps qui la produit : la fumée est l'indice infaillible du foyer d'où elle émane.
J'abhorre toute espèce de simulation ! Plutôt le diable avec ses cornes, mais à visage découvert, qu'un saint qui cache sa tête dans un capuchon.
Une seule goutte de sang gratuitement répandu est plus qu'un crime ; ce qui ne pèse guère sur les consciences politiques de notre âge d'or, c'est une lourde bévue.
Pauvres mortels, nous avons tous nos travers et nos folies ; mais celui- là doit être considéré comme moins aveugle et moins méchant, qui, tôt ou tard, a le mérite de découvrir ses faiblesses et la franchise de les confesser.
Le patriotisme est comme la poésie, c'est un métier qui ne donne pas de pain.
L'homme est l'artisan de sa destinée ; il ne fait qu'obéir à ses propres passions, quand il se croit victime d'une irrésistible fatalité.
On devrait toujours parier contre ce que l'on désire, car de deux choses l'une : ou l'on perd son pari et l'on a la satisfaction de voir se réaliser ses vœux ; ou bien notre désir est déçu, mais on a pour se consoler le gain du pari.
Un cœur possédé d'une grande haine montre par là qu'il est capable d'un grand amour.
On a comparé le mariage à l'action de jeter l'ancre dans le port après avoir navigué au milieu des tempêtes de la vie ; mais il arrive quelquefois qu'on se jette à la mer avec l'ancre au cou.
Un premier amour, tranché par la faux impitoyable de la mort, fait au cœur une blessure dont la cicatrice est ineffaçable.
Il n'est pas de thème si stérile que l'amour et la jeunesse ne puissent féconder.
Ceux qui rient aux éclats ne sont pas toujours les plus gais ; on peut pleurer sans douleur, et rire sans joie.
Si les vieillards sont conteurs, les enfants, de leur côté, sont très avides de récits, ce qui justifie l'adage que les extrêmes se touchent.
Le puissant pardonne quelquefois une offense, jamais une raillerie.
Il n'est pas nécessaire d'avoir atteint l'âge de raison pour perdre la raison.
Les champions de la raison même n'ont le droit, ni de manquer de générosité dans la lutte, ni de se proclamer infaillibles.
Quand la cruelle expérience de la vie nous a endurcis, nous avons contre la douleur le bouclier de l'indifférence ; mais les amertumes du premier âge sont indélébiles parce que, nous frappant à l'improviste, elles nous surprennent désarmés.
Les paroles doivent être guidées par la pensée, et la pensée par l'esprit et par le cœur.
Donnez au peuple toute l'instruction dont sa vie laborieuse le rend susceptible ; car, si la flamme du génie est un rayon descendu du ciel sur la terre, son éclat brillera vainement au milieu d'une génération d'aveugles.
Pourquoi la Fortune est-elle sympathique à l'audace et à la jeunesse ? Parce qu'elle est femme.
Savoir tirer parti de tout ce qui arrive, de tout ce qui se présente, saisir l'occasion fournie par un mot, par un geste, en somme, ne laisser échapper aucune chose, si petite qu'elle paraisse, sans en faire sortir un enseignement, voilà ce qu'un bon instituteur doit se proposer ; c'est là un champ plus fécond que les meilleurs traités.
Que les enfants aient la manie de dégrader, de détruire, on le comprend ; mais que les instituteurs ne trouvent pas la force et le courage de l'empêcher, qu'ils ne sachent pas leur inspirer un peu de respect pour le domaine public, qui est en définitive le patrimoine de chaque citoyen, voilà ce qui un jour paraîtra fabuleux.
La nature, qu'il faut toujours tenir pour notre véritable institutrice, a elle-même assigné aux mères le soin de l'éducation première.
Les excès de la passion du bien ne sont jamais fort redoutables.
L'automne est la saison des transitions ; il nous donne les fruits, mais il dépouille les arbres ; il remplit les greniers, mais il fait de la campagne un désert, et derrière lui s'avance l'hiver, la solitude, la mort.
La plus grande de toutes les humiliations pour les gens en place, c'est de voir détruire sous leurs yeux, et pendant qu'ils exercent encore une autorité nominale, l'œuvre qu'ils avaient mis des années à édifier.
L'enfant qui entre dans l'adolescence, la femme sur le retour, n'ont pas de physionomie propre et déplaisent généralement. Un beau vieillard excite notre sympathie ; une barbe blanche a un caractère de majesté ; mais l'homme qui commence à chanceler sur ses jambes mal assurées, une barbe grisonnante ont un aspect disgracieux.
L'homme, essentiellement égoïste, conclut toujours du particulier au général.
L'autorité sans limites dégénère toujours en licence.
Aucune société durable ne peut s'établir entre des hommes guidés par des intérêts purement égoïstes ; on peut les comparer à ces corps chargés de la même électricité qui se repoussent mutuellement.
Les peuples ne cesseront de jouer le rôle de moutons qu'on mène à la boucherie, et ne deviendront des sociétés d'hommes libres que par le développement de leur intelligence ; tant qu'ils seront livrés à l'ignorance et aux préjugés, ils resteront courbés sous le joug de leurs passions aveugles ou sous le despotisme des tyrans.
Le principe d'autorité tue le libre examen ; le libre examen, à son tour, tue l'autorité : c'est un duel à mort.
La perfection de l'amour consiste dans le sacrifice des désirs de l'amant, qui ne cherche qu'à satisfaire aux désirs de l'être aimé.
L'amour envers les autres contribue à notre propre bonheur ; l'amour déréglé de nous-même fait notre malheur et celui des autres.
L'amour sans espoir n'a de refuge que dans la mort.
L'émotion de l'amant naïf et timide, au moment d'entrevoir sa belle, se pourrait comparer à celle de Sémélé attendant, d'un cœur palpitant, l'apparition de Jupiter dans la splendeur de sa divinité.
L'amour des hommes se compose de soupçons pour un tiers, de jalousie pour un autre tiers, le tout combiné avec un immense orgueil.
Ce qu'on appelle aujourd'hui l'amour n'est qu'une mesquine vanité personnelle que l'homme cherche à satisfaire ; or, comme cette satisfaction cesse ou diminue aussitôt qu'elle ne rencontre plus d'obstacle, l'homme sûr d'être aimé tombe dans l'indifférence et se livre à d'autres pensées, à de nouveaux désirs, à de nouveaux caprices.
La femme qui aime sincèrement n'est plus coquette, et, sans coquetterie, la femme cesse bientôt de plaire.
Pour une femme, un homme trop aimé est un tyran qu'elle se donne dans le présent et une grande douleur qu'elle se prépare dans l'avenir.
L'idée la plus folle semble toujours la plus probable aux amoureux, quand elle flatte leur passion.
L'âme, créée avec un penchant pour aimer, se porte vers toute chose qui lui plaît, aussitôt que le plaisir actuel la sollicite. L'esprit des hommes puise dans un être réel ces impressions qui se développent en eux et qui portent leur âme vers elles ; et, si l'âme s'y abandonne, cet abandon est l'amour, c'est une nouvelle nature que le plaisir fait naître en eux. Puis, comme le feu s'élève vers le ciel, parce qu'il tend naturellement à monter aux lieux où sa matière a plus de durée, ainsi l'âme éprise se livre au désir, qui est un mouvement spirituel, et qui ne s'arrête pas qu'il n'ait possédé la chose aimée. On voit combien la vérité est inconnue à ceux qui prétendent que tout amour est une chose louable en soi : ils estiment que la matière de l'amour est toujours bonne ; mais toute empreinte n'est pas bonne, quoique la cire le soit.
Les faux amis sont comme l'ombre d'un cadran : elle paraît si le ciel est serein, elle se cache s'il est nébuleux.