On se dispense de compliments avec ses amis pour affranchir le cœur d'une quarantaine ennuyante.
Il en est de la nature comme de la vie. Ce ne sont pas les existences les plus pures et les ruisseaux les plus limpides qui sont les plus productifs. La source claire et l'âme vertueuse réfléchiront bien l'image du ciel ou les fleurs de la prairie, mais les moissons abondantes ne se trouveront que là où le flot fangeux des jours et des rivières aura passé.
La gloire est une monnaie qui a toujours cours forcé chez les hommes. On vous prendra votre pain, votre champ, votre maison, votre cheval, votre valet, votre fils, votre père, votre fortune, votre repos, votre liberté ; bien mieux, on vous prendra vous-même ; on fera de vous un pantin, une machine qui devra marcher à la baguette : gardez-vous bien de vous plaindre ! Au contraire, soyez-en fier ! Vous aurez de la gloire : vous serez assez payé et toujours assez riche.
Là où l'union établit ses concerts, c'est la joie qui marque la mesure.
Certaines têtes ne lâchent l'esprit et certains tonneaux la liqueur qu’en lâchant la bonde.
La vivacité, réprimée à temps, agit, sur un cœur bon, comme à la fermentation arrêtée à point agit sur un vin généreux : en lui faisant déposer ce qu'il a d'acerbe, elle le fait devenir meilleur.
Il est un point au thermomètre du sentiment au-dessous duquel les âmes délicates ne peuvent plus exister. Le vice devient mortel aux hommes, comme le froid devient mortel aux plantes, quand il descend trop bas.
Voulez-vous retrouver les sources claires et les flots limpides ? Avec la truite remontez le cours du ruisseau. Voulez-vous retrouver les douces joies et les fraîches images ? Avec le souvenir remontez le cours de la vie.
La société, telle que la civilisation nous la fait, ressemble à un camp mis au pillage, et où, dans la part des biens et des positions, l'audace et la médiocrité l'emportent sur le mérite et la modestie. Les hommes, dans la société, sont comme les arbres dans une forêt trop épaisse : il faut qu'ils soient étouffés ou qu'ils étouffent les autres.
Toutes les sensations qui n'émanent pas de l'âme sont le reflet des objets extérieurs que l'homme subit et ne choisit pas toujours. Le jugement est la faculté de saisir les rapports existants entre les idées, les choses, les formes, les sons et les couleurs ; et le goût est un tact particulier qui nous les fait envisager au point de vue le plus harmonieux, soit dans leurs détails, soit dans leur ensemble.
La compassion transmet d'une personne à une autre une souffrance que celle-ci n'a souvent jamais éprouvée. La sensation qu'on en perçoit ne saurait être, par conséquent, l'effet du souvenir, et ne peut être attribuée qu'à la sympathie qui semble placée entre les hommes pour leur faire partager et leurs joies et leurs peines ; celles-ci, en les diminuant, et celles-là en les augmentant.
Dans le bonheur, comme dans la souffrance ; dans la richesse, comme dans la pauvreté, l'âme éprouve le besoin de laisser échapper les sentiments qui l'inondent et que la fragilité et l'insuffisance de l'homme lui font diriger vers le ciel. C'est ainsi que par la prière ils s'exhalent et s'élèvent vers le Créateur, soit pour implorer de lui des secours ou le remercier de ses bienfaits, soit pour lui porter notre amour ou notre reconnaissance.
Dans la vie, la souffrance fait ressortir le bonheur comme dans un tableau l'ombre fait ressortir la lumière. Dans l'une c'est le contraste des émotions, et dans l'autre le contraste des couleurs qui en détruit la monotonie et qui en augmente le charme. L'âme, pas plus que la nature, ne peut se passer du clair-obscur. Il faut la diversité des teintes dans les sentiments comme dans le paysage.
Quand le nom d'un sentiment nous gêne ou nous embarrasse, on se tire adroitement d'affaire en lui donnant un sobriquet. Ainsi la bêtise devient de la naïveté, la haine devient de l'aversion, et l'amour devient de la tendresse. De cette façon le monde se change en un bal masqué où l'on n'est admis qu'à l'aide du déguisement et où l'on ne se reconnaît qu'au moment de se quitter. C'est le cas de dire que les sobriquets sont les masques du langage.
Le feu des passions est comme le sable du désert, il produit souvent le mirage.
Les grandes passions sont comme les grandes rivières qui fertilisent ce qu'elles ne ravagent pas.
La philosophie n'arrête pas plus les souffrances du cœur qu'un pont n'arrête les eaux d'une rivière, mais elle aide à les traverser.
Les illusions de la vie sont comme les hirondelles, elles n'ont qu'une saison.
Chrétien, l'on se demande : Où vais-je ? Philosophe, on se dit : Que sais-je ?
Le cœur qui prend la raison pour médecin doit s'attendre à être mis à la diète.
Pour prendre la forme, la pensée, comme le bronze, a besoin de couler tout d'un jet.
Le vaniteux se donne autant de mal pour faire parler de lui que le sage pour se faire oublier.
On partage aisément les torts que l'on pardonne !
Dans quelque argument que vous enfermiez le sophiste, il trouve toujours une issue pour vous échapper.
Les grands esprits, pas plus que les cieux, ne sont toujours sereins : ils ont aussi leurs éclairs et leurs nuages.
Un cœur volage ressemble à une plaque de daguerréotype où l'iode a été oublié.
Quelque chose embarrasse l'incrédule qui cherche à nier Dieu, c'est l'idée de la mort qui ne laisse à son orgueil d'autre issue que le néant.
Deux tyrannies se partagent le monde : La mode et l'opinion.
L'homme ne succombe le plus souvent devant la force ou devant la beauté que parce qu'il se croit infaillible.
Fraîche beauté et antique noblesse n'ont que faire de parchemin.
Les prétentions sans la beauté sont un piège sans amorce, une souricière où l'on a oublié le lard.
Un peintre et un écrivain se feront plutôt pardonner un manque de vérité qu'un manque de vraisemblance ; parce que le manque de vérité n'est qu'un tort fait à notre mémoire, tandis qu'un manque de vraisemblance est une atteinte portée à notre jugement.
Il est des gens qui ont des remèdes tout prêts pour guérir les blessures du cœur, comme ils ont des onguents pour guérir les écorchures des arbres. Ce font les mêmes qui recollent les estampes avec de la mie de pain et remplacent les vitres avec du papier.
Passé l'âge du bonheur, le cœur n'est plus qu'une nécropole où s'engloutit tout ce que nous avons aimé ; où chaque regard jeté en arrière ne rencontre plus à travers le soleil pâlissant que des croix et des ruines.
Un pays sans lacs et sans montagnes est comme un appartement sans glaces et sans tableaux : ni le monde ni le ciel ne peuvent s'y réfléchir.
L'amour-propre est l'orgueil du dedans, comme la vanité est l'orgueil du dehors.
Le plus de mal se fait, sous le manteau de l'impunité, à coups de langue et à coups d'épingle.
L'innocence est comme la neige immaculée, toujours pure mais toujours froide.
La conscience est comme la neige : pure, toute empreinte s'y conserve ; une fois souillée, tout s'y confond et s'y perd.
La mélancolie, qui suit le bonheur, est comme l'ombre qui accompagne le soleil et en fait ressortir tout le charme.
L'injustice ne cesse pas d'être odieuse parce qu'elle est légale : un lièvre aime autant être tué par un braconnier que par un chasseur.
Les opinions de certains hommes et la toilette de certaines femmes ressemblent à la devanture d'une boutique ou aux affiches d'un journal où tout est à vendre ou à louer.
Les meilleures combinaisons humaines avortent le plus souvent parce qu'on ne fait pas la part de l'imprévu.
Pour les poètes, ces enfants de l'abstraction, le monde réel ne vaut jamais le monde imaginaire.
Pour représenter le bonheur, le présent est au passé ce qu'un peintre médiocre est à un grand maître.
Le plus heureux mariage est celui où l'on peut dire : un et une font un.
Il en est des vices qui nous entourent comme des arbres qui bordent la route, ils font mieux ressortir le droit chemin.
Les moralistes trop zélés sont comme les servantes maladroites qui éteignent la chandelle en voulant trop bien la moucher.
La religion, comme les esprits étroits se la représentent, est moins une mère qui nourrit qu'une matrone qui sèvre.
Riche, on se fait des amis ; pauvre, on en trouve.