Pensées d'un biologiste, de Jean Rostand.

Qui a l'esprit trop bien armé ne sait plus admirer que là où l'émotion le désarme.

Si l'on n'écrit pas pour soi, du moins savoir à qui l'on s'adresse ; ne pas loucher en écrivant.

Laisser toutes les portes ouvertes, mais en défendre férocement l'accès.

On ne met pas au jour des vérités sans en offusquer d'autres. Toute découverte recouvre.

Les vérités, comme les femmes, ne sont pas toujours difficiles dans la mesure où elles sont belles.

Science : la seule façon de servir les hommes sans se rendre complice de leurs passions.

La science a fait de nous des dieux avant même que nous méritions d'être des hommes.

Je ne suis quand même pas assez insensé pour être tout à fait assuré de mes certitudes.

L'affreux en mourant, c'est de disparaître sans avoir compris. Le crime de la mort n'est pas qu'elle nous tue, mais qu'en tranchant notre angoisse elle lui confère l'éternité.

Pour nous, il n'y a rien à comprendre, et, hors de nous, il n'y a personne pour comprendre.

On tue un homme, on est un assassin. On tue des millions d'hommes, on est un conquérant. On les tue tous, on est un dieu.

Je ne puis arriver à croire que, mort, on soit moins mort qu'on ne l'est endormi.

Tous les espoirs sont permis à l'homme, même celui de disparaître.

Tout ce que nous pouvons pour nos enfants, c'est de bien choisir leur mère.

Jamais les hommes ne sauront assez la contingence de leur personne, et à combien peu ils doivent de n'être pas ce qu'ils méprisent.

Les êtres humains sont une mosaïque originale d'éléments banaux.

À la perte de ceux qu'on aime, c'est moins leur vie qui nous échappe que leur mort qui nous envahit.

La beauté, en art, n'est souvent que de la laideur matée.

C'est parfois sur le plus faible de soi qu'on doit prendre appui pour aller plus loin.

Écrire est la seule façon d'émouvoir autrui sans être gêné par un visage.

La seule chose qu'on ne peut embellir sans qu'elle en périsse, c'est la vérité.

J'aime les phrases qu'on dirait détachées de quelque invisible contexte.

Aux instants que la vie nous apparaît tolérable, nous ne lui demandons pas d'avoir un sens ; c'est le désarroi du cœur qui induit l'esprit à trop d'exigence.

Il n'y a pas de bonheur intelligent.

Qui demande trop peu à la vie sera toujours déçu par elle.

Le surhomme ? Peut-être fabriquerons-nous un jour ce qui nous comprendra.

Opter entre l'absurdité de ce qui nous entoure et l'absurdité de ce qu'on y ajouterait pour le rendre un peu moins absurde.

Que ne faut-il rejeter de soi pour rester soi !

Je sais gré à autrui de ce que souvent, par son opposition, il m'aide à me rester fidèle.

Se flatter d'améliorer l'hérédité humaine en améliorant le milieu social est à peu près aussi naïf que de croire qu'on ferait produire un enfant blanc à des parents noirs pour les avoir peints en blanc.

Savoir regarder en étranger nous aide à voir en artiste. Ce qui nous aliène nous inspire.

Être adulte, c'est être seul.

Nous acquérons, par l'éducation, des connaissances éphémères et des répugnances tenaces.

Je suis plus sûr d'avoir raison par la façon dont je vis que par la façon dont je pense.

Cybernétique : l'homme est plus apte à imiter la pensée qu'à imiter la vie.

Il faut avoir peu de penchant à la tristesse pour oser s'égayer sans craindre l'après-gaieté !

À mesure qu'on vit, on prête moins d'importance aux choses, mais aussi moins d'importance à l'importance.

Nous nous permettons des écarts de goût que nous interdirions à autrui.

Ne pas prendre ses angoisses pour des problèmes, à moins que ce ne soient les seuls.

La fidélité aux morts est la meilleure manière d'insulter la vie.

Moins on a de Dieu, plus il faut y croire.

Il est dans la tolérance un degré qui confine à l'injure.

Ne pas laisser à la rancune le soin de découvrir le vrai sur ce qu'on aime.

L'univers, en faisant l'homme, s'est donné à la fois une victime et un juge.

La difficulté me décourage, la facilité me rebute.

La vérité est toujours servie par les grands esprits, même s'ils la combattent.

Je n'ai faim que de ma vérité.

Qu'il faut donc aimer quelqu'un pour le préférer à son absence !

Les banalités des écrivains rares nous fournissent de bonnes citations.

Que de mesure il faut dans l'excès !

Nos espoirs ne seraient-ils que des prétextes à nos élans ?

L'homme est un miracle sans intérêt.

Un seul remède, si l'on en peut user : aimer plus fort qu'on ne souffre.

Le danger de la négligence, c'est de laisser voir pire qu'elle-même.

Ceux qui n'ont pas vraiment souffert ignorent le bien-être du tolérable.

En politique, on ne flétrit le mensonge d'hier que pour flatter le mensonge d'aujourd'hui.

L'ignorance, c'est d'en savoir autant que les autres, mais en ignorant davantage.

Ce n'est pas dire des sottises qui est grave, mais les dire au nom des principes.

Le véritable travail, c'est de savoir attendre.

La seule liberté que nous concède la vie, c'est de choisir nos remords.

Réfléchir, c'est déranger ses pensées.

La chance, pour un chercheur, est de trouver des faits qui ressemblent à ce qui le passionne.