Je ne supporte pas bien le bonheur, par manque d'habitude.
Il faut aimer un être pour courir le risque d'en souffrir. Il faut t'aimer beaucoup pour rester capable de te souffrir.
La voie qui consiste à tout nier pour voir si l'on peut ensuite réaffirmer quelque chose, à tout défaire, pour regarder ensuite tout se refaire sur un autre plan ou à notre guise.
Un bon négociateur ne fait pas confiance.
Des moments libres toute vie bien réglée a les siens, et qui ne sait pas les provoquer ne sait pas vivre.
Construire, c'est collaborer avec la terre : c'est mettre une marque humaine sur un paysage.
Comme tout le monde, je n'ai à mon service que trois moyens d'évaluer l'existence humaine : l'étude de soi, la plus difficile et la plus dangereuse, mais aussi la plus féconde des méthodes ; l'observation des hommes, qui s'arrangent le plus souvent pour nous cacher leurs secrets ou pour nous faire croire qu'ils en ont ; les livres, avec les erreurs particulières de perspectives qui naissent entre leurs lignes.
Je vois une objection à tout effort pour améliorer la condition humaine, c'est que les hommes en sont peut-être indignes.
La solidarité se dépense en petite monnaie journalière.
Les femmes ne voient dans la tendresse qu'un acheminement vers l'amour.
Il est reposant de penser que l'oubli est moins prompt, moins total qu'on ne suppose.
La vie est le mystère de chaque être, elle est si admirable qu'on peut toujours l'aimer. La passion a besoin de cris, l'amour lui-même se complaît dans les mots, mais la sympathie peut être silencieuse. Je l'ai ressentie, non seulement à des minutes prévues de gratitude et d'apaisement, mais envers des êtres que je n'associais à l'idée d'aucune joie.
Peu durables sont les émotions les plus vives, pour vouloir, du rapprochement d'êtres périssables, engagés de toutes parts dans la mort, tirer un sentiment qui se prétende immortel. Ce qui nous émeut chez un autre ne lui est après tout que prêté par la vie. Je sens trop bien que l'âme vieillit comme la chair, n'est, chez les meilleurs, que l'épanouissement d'une saison, un miracle éphémère, comme la jeunesse elle même. À quoi bon nous appuyer à ce qui passe ?
Le plaisir est trop éphémère, la musique ne nous soulève un moment que pour nous laisser plus tristes, mais le sommeil est une compensation. Même lorsqu'il nous a quittés, il nous faut quelques secondes pour recommencer à souffrir ; et l'on a, chaque fois qu'on s'endort, la sensation de se livrer à un ami. Je sais bien que c'est un ami infidèle, comme tous les autres ; lorsque nous sommes trop malheureux il nous abandonne aussi. Mais nous savons qu'il reviendra tôt ou tard, peut être sous un autre nom, et que nous finirons par reposer en lui. Il est parfait quand il est sans rêves ; on pourrait dire que, chaque soir, il nous réveille de la vie.
Les gens que l'on rencontre dans les rues, pendant le jour, donnent l'impression d'aller vers un but précis, que l'on suppose raisonnable, mais, la nuit, ils paraissent marcher dans leurs rêves. Les passants me semblaient, comme moi, avoir l'aspect vague des figures qu'on voit dans les songes, et je n'étais pas sûr que toute la vie ne fût pas un cauchemar inepte, épuisant, interminable.
On s'habitue facilement à la solitude. Il y a une jouissance à savoir qu'on est pauvre, qu'on est seul et que personne ne songe à nous. Cela simplifie la vie.
Il n'est pas difficile de nourrir des pensées admirables lorsque les étoiles sont présentes. Il est plus difficile de les garder intactes dans la petitesse des journées ; il est plus difficile d'être devant les autres ce que nous sommes devant Dieu.
À mesure que disparaissent ceux que nous avons aimés diminuent les raisons de conquérir un bonheur que nous ne pouvons plus goûter ensemble.
Les confidences sont toujours pernicieuses quand elles n'ont pas pour but de simplifier la vie d'un autre.
Ma mère, dans les derniers temps de sa vie, se plaisait à demeurer sans rien faire aux approches de la nuit. Il semblait qu'elle voulût s'habituer à l'inaction et aux ténèbres. Son visage, je suppose, prenait alors cette expression plus calme, plus sincère aussi, que nous avons lorsque nous sommes tout à fait seuls et qu'il fait complètement noir.
La souffrance nous rend égoïstes, car elle nous absorbe tout entiers. C'est plus tard, sous forme de souvenir, qu'elle nous enseigne la compassion.
Nous tenons par tant d'attaches aux lieux où nous avons vécu qu'il nous semble en les quittant plus facile de nous quitter.
La première conséquence de penchants interdits est de nous murer en nous-mêmes : Il faut se taire, ou n'en parler qu'à des complices. J'ai beaucoup souffert, dans mes efforts pour me vaincre, de ne pouvoir attendre ni encouragement ni pitié, ni même ce peu d'estime que mérite toute bonne volonté.
Nos défauts sont parfois les meilleurs adversaires que nous opposions à nos vices.
À force de nous répéter ce que nous aurions dû faire, nous finissons par trouver impossible que nous ne l'ayons pas fait.
Je n'ai jamais aimé les livres. Chaque fois qu'on les ouvre, on s'attend à quelque révélation surprenante, mais chaque fois qu'on les ferme, on se sent plus découragé. D'ailleurs, il faudrait tout lire, et la vie n'y suffirait pas. Mais les livres ne contiennent pas la vie ; ils n'en contiennent que la cendre ; c'est là, je suppose, ce qu'on nomme l'expérience humaine.
Les gens qui parlent par ouï dire se trompent presque toujours, parce qu'ils voient du dehors, et qu'ils voient grossièrement. Ils ne se figurent pas que des actes qu'ils jugent répréhensibles puissent être à la fois faciles et spontanés, comme le sont pourtant la plupart des actes humains. Ils accusent l'exemple, la contagion morale et reculent seulement la difficulté d'expliquer. Ils ne savent pas que la nature est plus diverse qu'on ne suppose ; ils ne veulent pas le savoir, car il leur est plus facile de s'indigner que de penser.
Les rêves sont parfois les avant-coureurs du désir.
Rien ne rapproche les êtres comme d'avoir peur ensemble.
Il y a certains moments de notre existence où nous sommes, de façon inexplicable et presque terrifiante, ce que nous deviendrons plus tard.
Quand on s'est tant menti, et qu'on a tant souffert du mensonge, il n'y a vraiment pas grand risque à essayer si la sincérité guérit.
S'il est difficile de vivre, il est bien plus malaisé d'expliquer sa vie.
J'ai lu souvent que les paroles trahissent la pensée, mais il me semble que les paroles écrites la trahissent encore davantage. Écrire est un choix perpétuel entre mille expressions, dont aucune ne me satisfait, dont aucune surtout ne me satisfait sans les autres. Une lettre, même la plus longue, force à simplifier ce qui n'aurait pas dû l'être : On est toujours si peu clair dès qu'on essaie d'être complet !
Mon amie, vivre est difficile. J'ai assez bâti de théories morales pour n'en pas construire d'autres, et de contradictoires : Je suis trop raisonnable pour croire que le bonheur ne gît qu'au bord d'une faute, et le vice pas plus que la vertu ne peut donner la joie à ceux qui ne l'ont pas d'eux-mêmes.
Les femmes pleurent les yeux ouverts, mais elles jouissent les yeux fermés.
Tout bonheur est un chef-d'œuvre : La moindre erreur le fausse, la moindre hésitation l'altère, la moindre lourdeur le dépare, la moindre sottise l'abêtit.
La mort n'est pas une fin, elle peut-être un commencement, une naissance ou un voyage.
Tout en moi n'était pas mauvais, mais tout pouvait l'être.
Chaque homme a honte de son visage entaché de sommeil.
Le vin nous initie aux mystères volcaniques du sol, aux richesses minérales cachées : Une coupe de vin bue à midi, en plein soleil, ou au contraire absorbée par un soir d'hiver dans un état de fatigue qui permet de sentir immédiatement au creux du diaphragme son écoulement chaud, sa sûre et brûlante dispersion le long de nos artères, est une sensation presque sacrée, parfois trop forte pour une tête humaine.
Dire que mes jours sont comptés ne signifie rien ; il en fut toujours ainsi ; il en est ainsi pour nous tous. Mais l'incertitude du lieu, du temps, et du mode, qui nous empêche de bien distinguer ce but vers lequel nous avançons sans trêve, diminue pour moi à mesure que progresse ma maladie mortelle. Le premier venu peut mourir tout à l'heure, mais le malade sait qu'il ne vivra plus dans dix ans.
Ce matin l'idée m'est venue pour la première fois, que mon corps, ce fidèle compagnon, cet ami plus sûr, mieux connu de moi que mon âme, n'est qu'un monstre sournois qui finira par dévorer son maître.
Tout moment est dernier parce qu'il est unique.
Rien n'est plus lent que la véritable naissance d'un homme.
La passion comblée a son innocence, presque aussi fragile que toute autre.
Il y a peu d'hommes auxquels on ne puisse apprendre convenablement quelque chose. Notre grande erreur est d'essayer d'obtenir de chacun en particulier les vertus qu'il n'a pas, et de négliger de cultiver celles qu'il possède.
Les plus opaques des hommes ne sont pas sans lueurs.
Tout silence n'est fait que de paroles qu'on n'a pas dites.
La vie a plus d'horreurs que le gouffre des mers n'a de monstres errants dans ses replis amers.
Il n'est pas de bonheur plus grand que nos amours ni plus profond que nos sourires.
On dit : Fou de joie. On devrait dire : Sage de douleur.
L'amour est sorcier : il sait les secrets ; l'amour est sourcier, il sait les sources.
L'indifférence est borgne ; la haine est aveugle ; elles trébuchent côte à côte dans le fossé du mépris.
Il faut jouir d'un être pour avoir l'occasion de le contempler nu.
L'avenir comme le passé doit avoir ses fantômes, surtout quand l'avenir n'est distant que d'une matinée.
Ni la beauté, ni la jeunesse, ni l'amour n'échappent à la pourriture ; la vie et son cortège de maux sont plus horribles encore que la mort elle-même, il vaut mieux périr que vieillir.
Rien ne dure sans changer.
Quand on aime la vie, on aime le passé, parce que c'est le présent tel qu'il a survécu dans la mémoire humaine.
Tout bonheur est une innocence.
Il faut toujours un coup de folie pour bâtir un destin.
L'amour est un châtiment ; nous sommes punis de n'avoir pas pu rester seuls.
J'aime que le temps nous porte, et non qu'il nous entraîne.
Il faut aimer les êtres pour apprivoiser leur méfiance.
Dans tout combat entre le fanatisme et le sens commun, ce dernier a rarement le dessus.
Avoir du mérite à s'abstenir d'une faute, c'est une façon d'être coupable.
Le véritable lieu de naissance est celui où l'on a porté, pour la première fois, un coup d'œil intelligent sur soi-même.
Nul ne peut dépasser les limites prescrites de sa vie.
Il n'y a pas d'amour sans éblouissement du cœur, il n'y a guère de volupté véritable sans émerveillement de la beauté.
Les coupables sont les seuls qui s'imaginent être innocents.
Ne plus se donner, c'est se donner encore : C'est donner son sacrifice.
Rien de plus sale que l'amour-propre.
On n'est jamais tout à fait seul : par malheur, on est toujours avec soi-même.
Cesser d'être aimée, c'est devenir invisible.
C'est avoir tort que d'avoir raison trop tôt.
La plus haute forme de vertu est la ferme détermination d'être utile.
C'est insulter les autres que de paraître dédaigner leurs joies.
La tendresse du père est presque toujours en conflit avec les intérêts du chef.
Le passé, pour peu qu'on y songe, est chose infiniment plus stable que le présent.
La philosophie épicurienne, ce lit étroit, mais propre.
On choisit son père plus souvent qu'on ne pense.
La démarche de l'esprit se frayant un chemin à l'envers des choses menait à coup sûr à des profondeurs sublimes, mais rendait impossible l'exercice même qui consiste à être. Il avait trop longtemps aliéné le bonheur d'aller droit devant soi dans l'actualité du moment, laissant le fortuit redevenir son lot, ne sachant pas où il coucherait ce soir, ni comment dans huit jours il gagnerait son pain. Le changement était une renaissance et presque une métempsycose.
Tout bonheur est un chef-d'œuvre.
Il y a plus d'une sagesse, et toutes sont nécessaires au monde.