On n'écrit jamais pour les autres, jamais. On n'écrit que pour soi. On prétend dialoguer mais tout n'est que soliloque.
L'amour, au début, tu passes ton temps à te demander si tu aimes, si t'es aimé. Ensuite, quand t'as un copain, tu passes ton temps à te demander si ça va continuer ou si ça devrait pas s'arrêter. Et quand ça dure, tu finis par t'ennuyer, mais tu n'as pas la force de recommencer avec un autre.
Le permis, ce n'est pas seulement le droit de conduire une bagnole, c'est un cap, c'est le franchissement d'une frontière certes invisible et pourtant bien réelle. D'un coup, on n'est plus regardé comme avant, on devient une grande personne, on est présumé responsable, présumé autonome. Depuis l'origine, on dépend de nos parents, de leurs décisions, de leurs interdictions et de leurs autorisations, de leur bon vouloir, de leur disponibilité. On a été maintenu dans la docilité, la malléabilité. Et là, pour la première fois, on fait les choses par nous-même, on monte seul à bord, on tient le volant, on choisit le lieu où on veut aller.
Faire confiance, cela veut dire avoir foi en quelqu'un, être assuré de sa loyauté, de sa fidélité. Et puis aussi, se livrer à lui, sans réserve, sans restriction, sans risque. Voilà, c'est à la fois se reposer sur lui et s'en remettre à lui. Et ne pas douter.
La séparation d'un enfant avec sa mère est avant tout un acte physique. Il faut que les bras de l'un cessent d'enlacer le corps de l'autre, que les mains de l'un se détachent des mains de l'autre, que les peaux ne se touchent plus, que les regards se désencastrent l'un de l'autre. Il faut s'éloigner et, dans cet éloignement, il y a le début d'une désagrégation, comme si l'un ne pouvait vivre que grâce à l'autre, comme si l'un ne pouvait pas vivre sans l'autre. C'est une perte de substance. La vie qui s'en va, quelque chose qui s'écoule, une force qu'on ne peut pas retenir.
L'amitié que je ressens pour une femme, c'est celle, déjà, que l'adolescent que je fus ressentait pour la mère de ses amis ; elle est demeurée intacte tout au long de ces années. J'aime l'esprit des femmes.
L'inacceptable pour une mère est de devoir envisager la perte de son fils. C'est la plus grande perte. Elle n'y survivrait pas. Les mères ne survivent jamais à la disparition de leur enfant. Même vivantes, elles sont mortes.
L'amour d'une mère pour son enfant, cette effusion immense, ce débordement comme on le dit d'un fleuve qui déborde de son lit.
L'amour est nécessairement la cause de souffrances. L'autre est, avant tout, celui qui nous fait ou fera souffrir car il se dérobe toujours à nous, tôt ou tard, franchement ou par des voies détournées, consciemment ou inconsciemment, totalement ou partiellement.
L'été, toujours le soleil, à peine un léger souffle qui fait se soulever un rideau, une chaleur, une douceur sur tout. Il n'y a qu'à se laisser aller à un tel été, ne rien faire que se laisser faire, ne rien vouloir. Il suffit de recevoir cet été comme un cadeau, comme quelque chose qu'on ne devrait pas posséder et qu'on possède tout de même.
Mes parents sont vieux. Ma conception n'était pas programmée. Ma survenance a été un hasard. Ils ont transformé ce qui n'a pas manqué d'être de prime abord une malédiction en événement majeur et attendu. Je remercie ce hasard, cette malédiction.
J'aime ce siècle qui commence, qui porte mes espérances, qui sera le mien. Naître avec le siècle, c'est comme un signe que Dieu nous envoie, comme une bénédiction, comme une promesse de bonheur.
Je suis un incurable pessimiste qui aime la vie.
Il faut à un amour, qui a accouché dans l'interdit, demeurer dans l'interdit.
Les Français clament leur foi en l'avenir mais ne cessent de se réfugier dans le « c'était mieux avant », ils réclament toujours des réformes mais s'y opposent systématiquement dès que quelqu'un s'efforce de les mettre en place, ils aspirent à la révolution mais élisent un roi, ils vomissent les partis mais votent pour eux, ils jouent au loto mais haïssent les individus liés à l'argent.
Les femmes sont dotées d'une intuition très supérieure à celle des hommes. On dit qu'elles ont une sorte de sixième sens, presque infaillible, une aptitude à voir au-delà des simples apparences, et c'est sûrement vrai.
Drôle d'idée d'aller dégoter un homme marié quand il y a tellement de célibataires !
Le sourire, c'est peut-être simplement pour ça : Être désirable, encore.
Cela pèse lourd, une absence. Bien plus lourd qu'une disparition. Parce que avec les morts, c'est commode, on sait qu'ils ne reviendront pas. Tandis que les lointains nous narguent ou nous font espérer.
Il faut arranger nos souvenirs ; sans ça, la vie n'est pas supportable.
Parce qu'il y avait l'enfant... Combien de mariages subsistent-ils par la grâce de cette seule formule ? Combien de femmes et d'hommes liés encore alors que tout s'est dénoué, et que leur progéniture contraint à demeurer ensemble ? Combien d'existences saccagées au bénéfice présumé de filles et de fils ? Combien d'années passées côte à côte simplement parce que les enfants constituaient l'ultime « bien commun » ?
Je n'aime pas qu'on ait besoin de moi. Je ne veux me sentir aucune responsabilité. Vis-à-vis de quiconque.
Plutôt se taire que se tromper, qu'anéantir une espérance par une phrase maladroite.
Le mutisme ne me guérit de rien, pas plus qu'il n'éloigne la douleur. C'est juste qu'il s'impose à moi, qu'il me submerge, qu'il me dépasse. Ce n'est même pas une question d'orgueil, ou une misérable tentative pour sauver la face. Non, c'est seulement être inatteignable, inaccessible, le plus lointain.
Il est plus aisé de n'avoir rien que de n'être rien.
Les pires douleurs sont celles qu'on s'inflige.
Si je dois choisir entre l'écriture et toi, alors je choisis l'écriture.
Passer ses journées à écrire, devant l'océan, connaître le succès, boire des Martini, choisir ses amants : Tout de même, il y a des sorts moins enviables !
Comment vivre autrement que dans l'instant présent ? Pourquoi sacrifier le bonheur d'aujourd'hui au possible chagrin de demain ? Je veux vivre. Je veux être dans le frisson de la vie. Dans cette excitation qui est synonyme de plaisir et de frayeur.
Je n'ai pas d'âge. Les années ont passé, je les ai perdues. Si je ne devais compter que les années heureuses, je serais encore un enfant.
Je songe à la dette que nous ne finissons pas d'acquitter à l'enfance, à la jeunesse perdue et que nous embellissons précisément parce qu'elle est perdue, aux moments de l'innocence et des possibles dont nous nourrissons le regret.
Les gens d'ici, ceux qui ne partent pas, qui ne partiront jamais, pensent qu'on devient forcément un autre quand on vous emmène loin d'eux. C'est eux qui ont raison.
Le suicide n'est rien d'autre que quelques secondes d'une fatigue trop lourde.
On ne renonce jamais vraiment, on a besoin de croire que tout n'est pas perdu, on se rattache à un fil, même le plus ténu, même le plus fragile. On se répète que l'autre va finir par revenir. On l'attend. On se déteste d'attendre mais c'est moins pénible que l'abandon, que la résignation totale. Voilà : on attend quelqu'un qui ne reviendra probablement pas.
Mon père est de ces types qui ne partent jamais. Qui meurent où ils sont nés.
L'amour de deux frères, ce lien pur où nul autre n'a sa place, à nul autre pareil, cette intimité sur laquelle aucune enchère n'est possible, où le désir et la sensualité ont leur place parce qu'on connaît l'autre aussi bien que soi-même.
Je veux être dans la joie au risque de la peine.
Le temps perdu, ce temps-là ne se rattrape jamais.
J'ai besoin de t'envoyer cette lettre, de croire que les mots ne sont pas inutiles et que le temps dépensé à t'écrire n'est pas du temps perdu. Tu ne répondras pas à cette lettre-là non plus. Mais le plus dur, c'était la première fois. Désormais, l'habitude est prise. Je ne dis pas cela comme on lance un défi, sois tranquille. Ma peine ne m'a pas fait perdre toute lucidité, voilà.
Je préfère être quelqu'un là-bas plutôt que personne ici.