L'amour-propre est le plus souple et le plus ingénieux des protées : il se plie à tout, tire parti de tout, et ne dédaigne rien. Compagnon de l'enfance, il grandit avec l'homme, mais ne vieillit pas comme lui, car il survit à ses passions, et semble hériter de ses goûts. Dans la jeunesse, son thème favori est la grâce, dans l'âge mûr la raison, dans la vieillesse l'expérience. Par lui l'homme médiocre prétend au jugement, l'homme d'esprit au génie, et l'homme supérieur se croit universel. Lorsque les qualités manquent, il cherche à faire prendre le change sur les défauts. L'avarice s'appelle économie, la profusion générosité, la colère vivacité, la brusquerie franchise. Celui qui tirait autrefois vanité de sa force et de sa bonne santé, vous entretient aujourd'hui avec complaisance de sa délicatesse et même de ses souffrances ; il en trouve la cause dans un excès de sensibilité. Enfin, tel qui cachait son âge à quarante ans, l'augmente à quatre-vingt.