Toute la vie consiste en un déséquilibre permanent entre les douleurs et les joies, comme si l'on ne disposait jamais que de quelques parcelles d'onguent pour d'éternelles blessures, comme si le mal gardait toujours la même impitoyable avance sur toutes les consolations.
Le bonheur consiste à se gorger de tout avec la fièvre des grands appétits frustrés.
Les désirs de l'homme sont infinis, orientés, sans le savoir, vers l'absolu.
Le suprême bonheur peut se concevoir au sein d'une société dévote, où chacun jouirait à la fois de lui-même et de la réunion de tous : Ce serait sans doute un ciel anticipé !
De l'existence terrestre, il faut en extraire toutes les voluptés permises.
Le monde n'est pas le séjour d'une froide sagesse. Il faut aimer la joie, le rire, tous les étourdissements de la vie, et profiter de chaque jour qui ne reviendra plus.
Dieu a créé l'homme pour le monde, et celui-ci n'est pas conçu pour le perdre, mais pour l'aider à remplir sa vocation, qui est d'être heureux sur terre.
Dieu sait bien que les gens du monde ne sont pas gourmands de macérations, ni très doués pour le recueillement, la méditation, ou la prière. Aussi a-t-il mis à leur portée un certain nombre de vertus d'une application plus facile : c'est le cas de l'aumône, si bienfaisante à l'âme des riches, qu'il aurait fallu, pour eux seuls, inventer les pauvres.
Retrouver la paix après une tempête de l'âme est aussi délicieux pour l'homme affligé que, pour le riche goutteux, de « sucer un jarret de veau » après un long temps d'abstinence. Ni le bonheur, ni le jarret n'auraient, autrement, de saveur.
L'abus des femmes est une maladie du cœur ; le renoncement aux femmes, une maladie de l'esprit.
L'aisance ne consiste pas dans la facilité à satisfaire des besoins modérés, mais dans la facilité à les négliger, à se passer même du nécessaire. L'aisance devient cette suprême agilité de l'âme qui ne se meut jamais aussi libre que dans un total dépouillement.
L'aisance est accessible par le travail et l'économie, qui ont toujours vaincu la pauvreté.
Parmi les biens que le Ciel donne à ceux qu'il favorise, la médiocrité est un des plus grands.
En ce monde, il est deux classes de citoyens : l'une qui manque du nécessaire, l'autre qui regorge du superflu. Les uns s'épuisent à des besognes qui les empêchent de vivre, les autres se consument d'ennui et ne vivent pas davantage. Pour rendre tous les hommes heureux, il faudrait rapprocher ces deux catégories extrêmes, les fondre en une seule masse moyenne, où tous jouiraient d'une même aisance.
Le travail est ce qui avilit et dégrade l'homme, ce qui tue la vie. Toute notre énergie se dépense, non à organiser un bonheur dont on n'a même pas l'idée, mais à défendre notre droit de vivre, à disputer notre existence au travail.
Curieuse méprise dans la répartition des richesses qui donne tout à ceux qui ne font rien et n'ont besoin de rien, et qui refuse presque tout à ceux qui travaillent et sont dénués de tout.
Le travail est le bienfaisant antidote de l'ennui, il est son meilleur remède.
Une société harmonieuse englobe toujours un lot nécessaire de maudits.
Le bonheur est l'œuvre de l'esprit qui prend la nature comme simple modèle.
Le courtisan est le jouet d'un destin qui le fait voltiger comme un pantin fou, l'oblige à mille pirouettes, et l'épuise en un fourmillement d'agitations inutiles, tant et si bien que sa voluptueuse existence n'est, en définitive, qu'une longue chaîne de corvées.
Tout homme peut être heureux dans les limites de sa condition. À l'exception du Grand, qui doit fuir son palais, renoncer à ses fastes et à ses vertiges, opter pour le cloître ou le désert. Il n'est pas de bonheur pour lui sans cette rupture, ce renoncement. Il faut qu'il rejette dans le néant toute une partie de lui-même. L'homme atteint de ce mal qu'est la grandeur, doit tuer en lui la grandeur, s'il veut sauver l'homme.
Le bonheur des pauvres est dans leurs bras.
Le riche bienfaisant se nourrit de tout le bonheur qu'il donne.
Il existe une façon d'utiliser les richesses qui, bien loin de rendre l'homme malheureux, lui procure un état voisin de la béatitude. Le riche qui prodigue tous ses biens pour le bonheur des hommes savoure comme une apothéose. Par le biais de la bienfaisance, voilà donc le riche languissant, angoissé, ou frivole, devenu un être surnaturel.
On n'est pas heureux parce qu'on est riche. Mais on peut être heureux, tout en étant riche. Il n'est pas impensable qu'un homme riche aménage, à côté de sa richesse, un authentique bonheur. Celui-ci ne sera pas imputable à la condition exceptionnelle de cet homme, mais à ce qu'il possède de commun avec tous les autres.
Le malheur veut que le désir des richesses soit l'un des instincts les plus solidement rivés au cœur de l'homme, au point que le désenchantement même n'est jamais détachement. Déçu par l'expérience de l'argent, l'homme n'en reste pas moins fasciné et le convoite toujours. Cette magie s'exerce encore plus sur les pauvres que sur les riches. Le peuple ne conviendra jamais que la richesse n'apporte pas le bonheur. Lorsqu'un riche, désabusé, proclame publiquement son échec, chacun pense : À sa place, j'aurais su être heureux !
Seul est riche celui dont les besoins et les ressources s'équilibrent. Dès que les premiers l'emportent sur les secondes, on est pauvre. La richesse et la pauvreté produisent des effets semblables : les riches, comme les pauvres, ne sont pas en état de répondre à leurs besoins, les uns par excès de besoins, les autres par manque de ressources.
Les riches sont malheureux parce qu'ils manquent d'imagination. Pour les riches, la réalité se réduit à elle-même. Aucun prestige n'enveloppe l'objet de leurs jouissances. Leur âme n'est plus « secouée » par des plaisirs devenus habitudes. Surtout, elle n'est plus capable d'interposer entre elle et les choses ce voile magique, si nécessaire au bonheur. Posséder est le seul acte qui soit à la portée des riches. Or c'est le plus triste de tous, lorsque l'imagination ne le transfigure pas.
L'inégalité offre à chacun la possibilité de s'affirmer au sein de la société, en restant fidèle à lui-même. Mais en même temps, elle l'oblige à mettre en commun, pour le bien de tous, ce que la nature lui a donné en particulier. Ainsi, grâce à l'inégalité des conditions, la société est au service de l'individu, comme l'individu est au service de la société.
L'inégalité, à supposer qu'elle soit un mal, porte son remède en elle-même. Au lieu de diviser les hommes, elle les rapproche et les unit. Elle n'est que la face négative, ou plutôt la condition préalable, de l'entraide universelle.
L'inégalité doit apparaître comme la condition de l'épanouissement individuel. C'est elle qui permet à chacun d'orienter son instinct de vivre vers les fins qui lui sont personnelles. Elle n'est donc responsable d'aucune aliénation, ne fait que sanctionner la coexistence harmonieuse et hiérarchisée des volontés particulières et traduire dans les structures sociales l'inégalité qui existait déjà naturellement entre ces volontés.
L'inégalité entre les hommes, loin de nuire, contribue à la vie et au maintien de la société. La société, de même que la nature, établit une inégalité nécessaire et légitime entre ses membres. Cette inégalité est juste, parce qu'elle est fondée sur le but invariable de la société, je veux dire sur sa conservation et son bonheur.
Ne jouissant de rien et craignant tout, insensible à la joie, trop vulnérable au malheur, l'âme du riche ne fait qu'osciller indéfiniment entre l'inquiétude et l'ennui.
L'inégalité est inscrite dans la nature. Les hommes ne sont point nés égaux ; il n'en est pas qui possèdent exactement les mêmes forces, le même esprit, les mêmes passions.
Inquiète et libre à la fois, la sensibilité cherche des stimulants et des ivresses. Le salut est dans le rapprochement de toutes ces âmes avides, de ces cœurs anxieux. La sociabilité devient l'unique et providentielle dimension de l'homme.
On ne peut se rendre heureux qu'en contribuant au bonheur des autres.
Être heureux au milieu des autres, c'est être heureux par les autres.
On ne peut s'aimer soi-même sans désirer d'être heureux ; on n'est vraiment heureux qu'en remplissant exactement ses devoirs et en fournissant à ses besoins. Le travail étant un devoir pour tous les hommes et leur unique ressource légitime pour subvenir à leurs besoins, leur bonheur dépend donc de le bien remplir.
La lecture et la méditation guérissent la plus terrible des douleurs.
L'état le moins malheureux pour l'homme est celui qui approche le plus de l'insensibilité, pourvu, néanmoins, que cette insensibilité soit naturelle et non survenue.
L'homme oscille tout le temps entre deux envoûtements et deux risques : d'un côté, l'enivrement du cœur et les souffrances que l'on doit en attendre ; de l'autre, la quiétude de la raison, mais l'ennui qui dissout toute vie inactive.
Les cœurs blessés portent le deuil éternel de leurs illusions perdues.
Le bonheur ne doit pas dépasser les bornes de la condition humaine : il est absurde qu'un homme convoite la félicité d'un dieu. Jamais l'âme ne doit s'aliéner aux passions qui l'entraîneraient à la dérive. Toute vie est vouée au désastre, qui ne choisit pas cette sagesse comme centre de gravité.
Le bonheur est de jouir de la présence de ceux qu'on aime.
Le bonheur n'est qu'une éclaircie dans un ciel toujours brouillé et souvent noir.
L'homme doit devenir son maître à force de bon sens, de raison, de justice et de vertu.
Ne seront heureux ici-bas que les gens constitués pour l'être. Tous les efforts des autres ne pourront viser qu'une œuvre limitée d'accommodement ; ils ne changeront pas le fonds de leur tempérament et resteront tristes et malheureux, s'ils sont fâcheusement doués d'une âme mélancolique.
La Fortune fait tournoyer à sa guise les hommes qu'elle saisit déjà tout ligotés, les jette dans des situations soudaines, s'amuse à intervertir les destins, à décevoir ceux qui ont misé sur elle, et à surprendre ceux qui ne l'attendent plus.
Le commencement du bonheur, c'est d'espérer ce qu'on désire.
Le plus heureux des hommes est rarement celui qu'on pense.
On est assez heureux pourvu qu'on ne fasse jamais le sot projet d'être parfaitement sage.
Dans ce monde où nul homme n'ose être lui-même, tous les êtres sont interchangeables.
L'homme mondain tire toute son existence des regards d'autrui.
L'homme du monde se compose de l'être profond et d'un masque, qui cache le premier sans l'effacer. Si l'on prend un masque, c'est moins pour se dissimuler que pour se reconnaître : on veut ressembler à tout le monde, et par là on se rassure.
On est malheureux parce qu'on se fait du bonheur une image forgée à travers mille rêves qui n'ont d'autre existence qu'en nous-même.
La vie humaine est une suite vertigineuse de faux-pas et de reprises, d'illusions et de désenchantements, d'obstinations et de brusques réveils.
La vanité rend toujours content de soi et toujours mécontent de son état.
Les biens que le monde foisonne, il ne tient qu'à l'homme de les cueillir.
L'homme est constitué de manière à n'être jamais heureux, parce que ses exigences sont impossibles à satisfaire et se détruisent elles-mêmes. Le mal est vraiment dans la nature de l'homme, au point que le malheur est la forme même de l'être.
L'homme en soi est bien souvent une chose absurde, un tissu de contradictions.
La pensée ravive les blessures qu'elle voudrait guérir.
L'homme est plus sensible à la douleur qu'au plaisir.
Dieu est au monde ce que le pilote du vaisseau est à son bâtiment. Il ne quitte jamais le gouvernail et dirige à tout instant la marche du navire.
Il est vain de se prétendre heureux si l'on ne sait absolument se suffire à soi- même.
La seule façon de limiter la souffrance est de se réduire le plus possible, afin de n'offrir au monde que la plus petite surface. Il faudrait en somme renoncer à être homme, pour esquiver les maux attachés à la qualité d'homme.
Les tentations détournent l'homme du bonheur plus qu'elles ne l'y conduisent.
Le bonheur appartient à ceux qui ont inventé un milieu entre la solitude et la sociabilité, sachant se tenir par rapport au monde à la bonne distance.
Le pêcheur de plaisirs ramène dans ses filets tous les biens de la vie.
La mélancolie est « la sensation douloureuse, mais affaiblie, d'une profonde douleur ». Elle est à l'affût de toutes les occasions qui lui rappellent et entretiennent cette douleur.
L'ennui coule de l'assouvissement comme de sa source naturelle.
Le bonheur repose sur le choix que chacun fait de ses plaisirs.
L'idée du bonheur appartient à la fois à la réflexion, à l'expérience et au rêve.
L'homme heureux est ce virtuose qui, au lieu de vivre simplement sa vie, la crée comme l'artiste crée l'œuvre d'art.
Le bonheur est chose personnelle qui n'a rien de commun avec l'ordre du monde et s'embarrasse peu de l'intérêt général. Résultat d'un travail pratiqué sur soi-même, il s'atteint à force de discernement, de goût et de mesure.
Oubliez toujours ce que vous êtes, dès que l'humanité vous le demande ; mais ne l'oubliez jamais, quand la vraie gloire veut que vous vous en souveniez.