Le possible est ce qui peut être ainsi ou autrement, et qui sera ceci ou cela selon mon courage, selon les risques que je consentirai à courir, selon ma bonne ou ma mauvaise chance.
L'ennuyé ressemble au passionné qui a envie de faire une folie et qui invente mille bonnes raisons pour manquer de raison. L'ennui isole l'ennuyé, uniformise autour de lui les choses, favorise l'inertie.
Celui qui ne fait rien n'est rien ; le non-être est la limite extrême de la fainéantise ; l'inaction, c'est l'inexistence, puis finalement la mort.
La femme s'abandonne à la chance d'une aventure, mais l'homme la tente.
L'aventure amoureuse apparaît comme une parenthèse à l'intérieur du vécu, comme une sorte de madrigal ou de poème en vers interpolé au milieu du texte prosaïque et sérieux de l'existence.
L'attrait de l'aventure c'est l'attrait de la coupable bougeotte qui s'offre à distraire notre ennui et à accélérer le renouvellement dont, pour tout homme, la futurition est la source. L'homme joue avec la femme inconnue dont il a croisé le regard dans l'autobus et qui est pour lui la promesse pas très sérieuse d'un monde nouveau, d'une vie inédite.
La fragilité essentielle et la précarité incurable de notre existence psychosomatique fondent la possibilité de l'aventure. La mort est ce qu'on trouve lorsque l'on creuse jusqu'à l'extrémité de l'humain, jusqu'au rebord aigu et indépassable d'une expérience ; la mort est la limite absolue qu'on atteindrait si on allait à fond et jusqu'au bout au lieu de s'arrêter en route : c'est le fond infime de toute profondeur et l'apogée suprême de toute hauteur et le point extrême de toute distance.
Le passé étant déterminé et définitif, et ceci pour l'éternité, puisqu'il a déjà existé, il ne saurait être la région de l'aventure. La région de l'aventure, c'est l'avenir.
L'aventure dépend de moi dans son commencement, mais sa continuation ne dépend pas toujours de moi, et sa terminaison encore moins.
Le temps qui s'écoule, implacable, nous rend la besogne de plus en plus ingrate.
L'amour partitif et partiel aime du bout de l'âme comme les promesses verbales et superficielles promettent du bout des lèvres. L'intransigeance amoureuse, elle, est caractéristique du devoir autant que de l'amour : amour et devoir — ils n'admettent aucune condition restrictive ni de temps ni de lieu ; ni de degré ni de délai.
L'homme vraiment méchant aime mieux faire souffrir que faire mourir : le méchant tue en détail et se conserve ainsi sa victime le plus longtemps possible au lieu de la supprimer d'un seul coup. Il prolonge de cette manière la délectable attente, dégustant à petits traits un plaisir en pointillé qu'il réitère par l'imagination et qui renaît sans cesse.
La musique est un charme, charme nostalgique comme l'est toujours le charme.
La démesure ne saurait faire l'objet d'un interdit quand il s'agit d'amour.
Mieux vaut une panurgie très avertie qu'une sincérité naïve.
Honte aux horribles polissons qui chez nous ont défendus les fascistes !
Si l'occasion est un secours, il faut avouer que le secours a lui-même grand besoin d'être secouru !
L'aventure explore les possibilités cachées dans la détresse.
Philosopher, c'est se comporter vis-à-vis de l'univers comme si rien n'allait de soi.
L'aventure déblaye en plein réel des oasis de ferveur et d'intensité ; elle redonne vie à l'instant picaresque, exalte le délicieux décousu de l'existence.
La béquille du Temps fait plus de besogne que la massue de fer d'Hercule.
Le devoir n'est pas une besogne, il est une obligation.
Il y avait une fois un pauvre fonctionnaire qui se rendait toujours à son bureau en suivant le même itinéraire. Un beau jour, en suivant cet itinéraire de la vie sérieuse, il rencontre un sourire de femme ; il fait un crochet, ne change pas à la station de métro où il aurait dû changer, ne tourne pas au coin de la rue où il est habitué à tourner. Son aventure ressemble à celle des atomes d'Épicure qui tombaient parallèlement dans le vide. Si ces atomes avaient continué à tomber d'une chute sempiternelle les uns à côté des autres, il ne serait jamais rien arrivé. Pour que quelque chose advienne en général, il a donc fallu qu'un atome fasse un caprice, veuille vivre sa vie et s'écarte des autres. Il a fallu une rencontre.
L'aventure est une petite vie à l'intérieur de la grande ; encastrée dans la grande vie ennuyeuse, terne et morne, qui est notre quotidienneté, l'aventure ressemble alors à une oasis de romanesque où les hommes, recherchant la haute température de la passion, se sentent pour la première fois exister : quittant leur vie de fantômes pour la délicieuse illégalité, ils connaîtront enfin la condensation passionnée d'un vrai devenir.
Le courage est la vertu de l'action et le pouvoir de faire face en allant au-devant du futur et en affrontant le péril ; il ne s'agit plus d'attendre qu'advienne l'avenir, mais de solliciter, précipiter, hâter, guider la futurition.
La fortune, comme les femmes, ne cède qu'à la jeunesse, qui est hardie et entreprenante, car la fortune est femme.
Il y a beaucoup d'hommes qui ressemblent à des femmes, et réciproquement.
La femme attend l'aventure, mais l'homme court les aventures.
Le serment d'amour est une promesse de futurition.
L'aventure amoureuse ressemble à l'œuvre d'art. Mais en un autre sens, l'amour pousse des racines profondes au centre de l'existence et l'intéresse tout entière d'une manière tellement essentielle que la vie peut en être de fond en comble transformée.
Don Juan, cet aventureux qui est presque un aventurier, fait le tour des féminités successives ; sa vie aventurière est un périple de beauté en beauté, chaque merveille refoulant dans le passé la merveille précédente. Le pluriel polygamique des bonnes fortunes empêche l'enracinement tragique de l'amour au centre de l'existence, contrarie la totalisation destinale de la passionnette, entretient en somme le caractère frivole de chaque aventure.
Un Don Juan, collectionneur de femmes, est comme un Ulysse de la séduction répétée.
L'homme qui n'a eu dans sa vie qu'une seule aventure est celui dont la maîtresse est devenue la femme ; l'île joyeuse s'est rattachée à un continent des plus sérieux.
L'aventure d'amour est un jeu sérieux. Nous savons bien comment une intrigue commence, mais nous ne savons pas trop comment elle continue, et encore moins comment elle finira... Dieu seul sait jusqu'où peut aller une aventure qui commence en madrigal !
La vie est l'ensemble des chances qui nous soustraient journellement à la mort.
Les anges sont condamnés, hélas ! à l'immortalité et meurent peut-être de ne pas mourir !
Un ange, étant incapable de mourir, ne peut courir d'aventures : il aurait beau descendre dans les entrailles du sol, explorer les profondeurs de l'océan, monter en fusée jusqu'à l'étoile polaire... Rien n'y fait ! l'être immortel, avec son invisible cotte de mailles, ne peut courir de dangers puisqu'il ne peut pas mourir.
Le danger n'est dangereux que dans la mesure où il implique un risque de mort.
La mort est le dangereux en tout danger, le mal en toute maladie.
L'aventureux qui a quitté volontairement sa famille et ses occupations se trouve pris, sur les pentes de l'Everest, dans une tourmente de neige. À partir de ce moment il regrette sans doute d'être parti, mais il est trop tard pour regretter et revenir sur ses pas : à partir de ce moment, il se bat pour son tout-ou-rien, il se bat pour sa peau. Ce qui est en jeu désormais c'est sa destinée et son existence même ; c'est, comme on dit, une question de vie ou de mort.
Le seul jeu vraiment ludique est le jeu avec le sérieux : car un jeu qui ne serait que joueur, et d'aucune manière ne taquinerait le sérieux, ce jeu battrait tous les records de l'ennui ; ce jeu serait plus ennuyeux que le sérieux. Supprimez l'un des deux contraires, jeu ou sérieux, et l'aventure cesse d'être aventureuse : si vous supprimez l'élément ludique, l'aventure devient une tragédie, et si vous supprimez le sérieux, l'aventure devient une partie de cartes, un passe-temps dérisoire et une aventure pour faire semblant.
L'homme brûle de faire ce qu'il redoute le plus.
La « futurité » du futur n'est rien d'autre que notre temporalité destinale, c'est-à-dire notre pesant destin fermé par la mort.
Le futur sera-t-il un jour de lumière ou un jour de ténèbres ? Nul ne sait, sauf Dieu.
Le futur sera-t-il un jour de fête ou un jour de deuil ? Nul ne sait, sauf Dieu.
L'amour est ouverture et générosité. Ouvrez les portes, on se serrera, on s'arrangera. Ouvre, mon âme, les ouvertures de ta demeure pour qu'elle s'emplisse d'allégresse.
Les gourmands de flatterie aiment à entendre autour d'eux la musique mélodieuse des louanges, et reniflent à pleines narines les vapeurs de l'encens.
Le hasard peut être notre auxiliaire et notre bonne chance comme il peut être une entrave : l'occasion est un hasard qui nous fait des offres de services et nous apporte des chances inédites.
L'occasion n'est pas seulement une faveur dont il faut savoir profiter : elle est encore quelque chose que notre libre arbitre recherche, déclenche, et, au besoin, suscite.
Le meilleur des mondes n'est que le moins mauvais.