La lettre d'amour d'Alphonse Esquiros.

La lettre originale

Avant de te connaître, j'ai aimé, c'est, sans doute, m'exposer à ton ironie et à tes dédains que de te le dire, j'ai aimé la pâle lune. Elle devint, pour moi, une femme avec qui j'avais des rendez-vous, le soir, au bord de l'eau. Eût-elle, d'ailleurs, été un astre, comme on le dit, que je me serais plu encore à ce fantôme de monde, silencieux, désert, fouillé par des puits et des abîmes sans fond, désolé, aride, de pierre ponce, tout comme mon cœur. Toute ma vie était suspendue à cet amour taciturne, impalpable, et montait, ainsi que l'Océan, vers la mélancolique fille des mers ; mais tu es apparue entre nous, oui toi, et j'ai senti alors mon cœur se dégager d'elle pour se tourner vers un autre astre.

La première fois que je t'ai vu, c'était un soir que le ciel était voilé de nuages, et que j'y cherchais, en vain, ma fabuleuse beauté ; tout ce que j'avais aimé dans la blanche Luna, le calme, le mystère, la rêverie, je le retrouvai en toi, ô ma déesse ! Jusque-là, les femmes m'éblouissaient le cœur, et je les fuyais comme l'oiseau de nuit fuit le soleil ; mais, en toi, rien qui m'offusquât, bien au contraire, ta jolie frimousse avait la sérénité majestueuse et froide qu'a celle de Phœbé. Je fus pris alors d'une idée singulière et subite : c'est que tu étais la lune qui, attirée par mon amour ineffable, descendait du ciel.

Oh ! si tu es, comme point n'en doute, celle de Luna la pâle ; si, émue de pitié à la vue de mon désespoir et de ma solitude, tu as quitté ta rude écorce de diamant et pris des formes de femme ; si, soucieuse de ce blond enfant, moi, qui te cherchait d'amour dans le miroir des lacs et des fontaines, tu as changé tes pâles lèvres de cristal pour des lèvres de chair frémissantes et roses, laisse-moi, s'il te plaît, sur tes jolies lèvres y suspendre un long baiser, et mourir !

Alphonse Esquiros
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