La mort, de Paul Verlaine.

Les premiers vers connus de Paul Verlaine :

Photo / portrait de Paul Verlaine Le 12 décembre 1858, Paul Verlaine alors âgé de 14 ans envoie à Victor Hugo une lettre ainsi que ses premiers vers connus. Le poème La mort fut publié par Gustave Simon dans la Revue de France du 1er octobre 1924.

La lettre de Verlaine à Hugo :

Monsieur,

Pardonnez-moi si je prends la liberté de vous dédier ces vers, c'est que, me sentant quelque goût pour la poésie, j'éprouve le besoin de m'en ouvrir à un maître habile, et à qui pourrais-je, mieux qu'à vous, Monsieur, conter les premiers pas d'un élève de quatrième, âgé d'un peu plus de quatorze ans, dans l'orageuse carrière de la poésie ?

Si vous voulez bien, Monsieur, me faire l'honneur de me répondre, adressez ainsi votre lettre :

Monsieur, Paul Verlaine, rue Truffaut, 28, À Batignolles, près Paris.

Poème : La mort.

Recueil : Les premiers vers connus (1858)
Telle qu'un moissonneur, dont l'aveugle faucille
Abat le frais bleuet, comme le dur chardon,
Telle qu'un plomb cruel qui, dans sa course, brille,
Siffle et, fendant les airs, vous frappe sans pardon

Telle l'affreuse mort sur un dragon se montre,
Passant comme un tonnerre au milieu des humains,
Renversant, foudroyant tout ce qu'elle rencontre
Et tenant une faulx dans ses livides mains.

Riche, vieux, jeune, pauvre, à son lugubre empire
Tout le monde obéit ; dans le cœur des mortels
Le monstre plonge, hélas ! ses ongles de vampire !
Il s'acharne aux enfants, tout comme aux criminels :

Aigle fier et serein, quand du haut de ton aire
Tu vois sur l'univers planer ce noir vautour,
Le mépris n'est-ce pas, plutôt que la colère)
Magnanime génie, dans ton cœur, a son tour ?

Mais, tout en dédaignant la mort et ses alarmes,
Hugo, tu t'apitoies sur les tristes vaincus ;
Tu sais, quand il le faut, répandre quelques larmes,
Quelques larmes d'amour pour ceux qui ne sont plus.

Paul Verlaine (1844-1896)
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