Titre : Adieu à la mer.
Recueil : Les poèmes et sonnets musicaux (1886)
Puisqu'il faut partir, mer sombre ou dorée,
Fidèle miroir du ciel noir ou bleu,
Ma voix, qu'un soupir rend mal assurée,
Te salue, hélas ! pour te dire adieu.
Pourquoi chercherais-je à cacher les larmes
Qui viennent voiler mon dernier regard ?
Sur tes bords la vie offre tant de charmes !
Je veux te pleurer à l'aise au départ.
L'air que l'on respire en tes douces plages
De mon corps brisé refait la vigueur :
Et surtout il chasse au loin les orages
Qui grondent souvent au fond de mon cœur.
La paix de tes eaux et leur violence
Tiennent à l'envi mon être enchanté,
J'admire ton bruit, j'aime ton silence,
Car ce sont deux voix de l'immensité.
Mon âme est plus forte alors qu'elle écoute
Ta grande éloquence aux mâles accents,
Ma foi se sent mieux à l'abri du doute
Quand j'entends mugir tes flots tout-puissants.
Et puis, quand tu dors, douce et reposée,
Ton calme en mes sens pénètre vainqueur ;
Oubliant par toi ma peine apaisée,
Je suis plus heureux, et je suis meilleur.
Spectacle inouï, qui jamais ne change
Et dont l'ail jamais n'est rassasié,
Spectacle tout plein de splendeurs étranges
Devant qui l'esprit reste extasié,
Oh ! j'aime à lancer à travers l'espace
Ma pensée, errant sans but et sans loi,
Avec mon regard qui passe et repasse
Entre les azurs du ciel et de toi !
Mais il faut partir, ô mer adorée,
Fidèle miroir du ciel noir ou bleu,
Ma voix qu’un soupir rend mal assurée,
Te salue encore une fois ! Adieu !
Paul Collin (1843-1915)