Titre : Dans le lointain est la terre de France.
Recueil : Les poésies et sonnets d'un voyageur (1844)
Quand un lambeau d'azur apparaît dans la brume,
Sur la hune souvent, pensif, je vais m'asseoir,
Et, tout seul, de là-haut, sur la vague d'écume,
J'aime à voir le bateau dans la clarté du soir.
Le vent autour de moi fait flotter le nuage,
Le vent ouvre à mes pieds l'abîme de la mer.
L'onde bondit, s'élance, et le pétrel sauvage
S'y repose en poussant un cri rauque dans l'air.
Mes yeux avec ardeur s'égarent dans l'espace :
Lorsqu'au sud l'horizon vient à se découvrir,
Chaque point qui s'éclaire, et chaque flot qui passe,
Au fond de ma pensée éveille un souvenir.
Là-bas, dans le lointain, est la terre de France,
Là sont les lieux chéris et quittés à regret,
Où, dans les jours d'ennui, les heures de souffrance,
Mon âme s'en retourne et s'arrête en secret.
Dans notre humble hameau, souvent ma bonne mère
S'effraye en découvrant un nuage au ciel bleu,
Et, pour chasser au loin l'inquiétude amère,
Avec plus de ferveur me recommande à Dieu.
Dans l'asile joyeux qui parfois les rassemble,
Mes chers amis, mesurant mon volontaire exil,
Songent peut-être à l'heure où nous étions ensemble,
Et se disent peut-être : À présent, que fait-il ?
Mon cœur, naguère encore avide de voyage,
Dans ses rêves soudain devient tout soucieux,
Et, tandis que je cherche à reprendre courage,
Quelques pleurs malgré moi s'échappent de mes yeux.
Xavier Marmier (1808-1892)