La dernière rêverie, d'Henri-Frédéric Amiel.
Titre : La dernière rêverie.
Recueil : La part du rêve (1863)
(À une fiancée)
Ô solitude aimée
Qu'autrefois je cherchais,
À mon âme charmée
Offres-tu moins d'attraits ?
Pourquoi suis-je attendrie ?
Je pleure et ris pourtant...
Berce-moi, rêverie,
Mon cœur attend.
Obscur et doux mystère,
Dans la joie ou l'émoi
Tout attend sur la terre,
Attend je ne sais quoi.
Chaque saison me dure ;
Mon cœur est en souci...
Console-moi, Nature ;
J'attends aussi.
Ouvrant aux filles d'Eve,
Bien loin de leurs prisons,
Des bleus pays du rêve
Les lointains horizons,
Ô fée ! ô fantaisie
À la baguette d'or !
Trompe-moi, poésie —
J'attends encor.
J'ai cru voir, doux mirage,
Comme des papillons,
Des enfants sous l'ombrage
Rouler leurs tourbillons ;
Frais lutins blancs et roses,
Que vos yeux de velours
Nous font rêver de choses...
J'attends toujours.
Mais une voix qui vibre
Fait tressaillir mon cœur.
Mon cœur, tu n'es plus libre,
Et voici ton vainqueur :
Visions éphémères,
Pressentiments confus,
Envolez-vous, chimères !
Je n'attends plus.
Henri-Frédéric Amiel