Titre : La mélancolie.
Recueil : Jour à jour, les poésies intimes (1880)
Si le cœur n'est pas assez détaché,
Est-ce qu'une larme au ciel fait offense ?
Un soupir est-il désobéissance ?
La mélancolie est-elle un péché ?
Un péché ? Non pas, mais elle est peut-être
Un piège pour l'âme, un péril secret,
Qu'il faut redouter parce qu'il nous plait
Et que l'âme a peine à le reconnaitre.
La mélancolie est un souvenir
Mêlé d'un regret où germe le doute ;
La mélancolie à s'entretenir
Aime trop, et semble un deuil qui s'écoute.
La mélancolie est une douceur
Perfide et flattant notre fantaisie ;
De la volupté, de la poésie
La mélancolie est la jeune soeur.
La mélancolie est la prophétesse
Qui dans les beaux jours pressent la douleur,
Qui dans la gaieté prévoit la tristesse
Et dans les festins répète : « Malheur ! »
La mélancolie est sagesse vaine,
Car elle use en nous le ressort moral
La mélancolie est une sirène
Dont la voix nous berce et nous fait du mal.
Henri-Frédéric Amiel (1821-1881)