Titre : L'amant aveugle.
Recueil : Les nouvelles poésies (1829)
De mon malheur apaisez la souffrance,
Vous que l'on aime, et dont le sort heureux
Voit chaque jour la beauté, l'innocence
De votre amante, et l'amour de ses yeux ;
Ce doux bonheur dont mon âme est émue
Ne calme pas l'ardeur de mes amours,
Près de Néris, Dieu ! rendez-moi la vue,
Loin d'elle après ôtez-la-moi toujours !
On dit partout : que Néris est touchante !
Que de candeur et puis que de beautés !
C'est une grâce aimable, ravissante,
Dont le malheur connaît seul les bontés !
On dit encor : sa pudeur ingénue
Dédaigne aussi d'inutiles atours !
Près de Néris, Dieu ! rendez-moi la vue,
Loin d'elle après ôtez-la-moi toujours !
D'une beauté quand la bouche, mi-close
Reçoit, dit-on, le baiser le plus doux,
Son teint alors prend l'éclat de la rose,
Et je ne puis voir ce tendre courroux !
On dit aussi qu'une pâleur connue
Remplace enfin les couleurs des amours ;
Près de Néris, Dieu ! rendez-moi la vue,
Loin d'elle après ôtez-la-moi toujours !
Que je chéris mes mortelles alarmes,
Et que je suis heureux dans mon malheur !
Lorsque partout on exalte ses charmes
Je puis moi seul apprécier son cœur !
Ils sont pour toi les yeux de l'âme émue,
Tu les ouvris aux clartés des amours :
Va, si l'hymen avait perdu la vue,
Fidèle alors il aimerait toujours.
Heureux celui qui près de son amante,
Dans ses regards peut lire son amour ;
Qui de sa taille élancée, élégante,
Des yeux émus caresse le contour ;
Dont les aveux à la vierge ingénue,
De la pudeur ajoute le secours ;
Près de Néris, ah ! qu'il perde la vue,
Loin d'elle après qu'il la garde toujours !
Claude-Charles Pierquin de Gembloux