Titre : Ton retour, enfin, nous réunit.
Recueil : Varia (1869)
Oh ! pourquoi vous ai-je revue,
Fée aux regards profonds et doux !
Mon âme était redevenue
Presque riante, loin de vous.
Flot calmé, la source où nous bûmes
Allait féconder l'avenir
En déposant ses amertumes
Dans la coupe du souvenir.
Quand je me sentais à la veille
De voir en moi le mal surgir,
Je me disais: Mon ange veille ;
Ah ! ne le faisons pas rougir.
Quand le torrent de mes tristesses
M'entraînait vers le désespoir,
Je me disais : point de faiblesses !
Vivons encore pour la revoir !
Si du sort l'arrêt inflexible
N'accorde rien à mon désir,
Comme Dieu qu'on aime invisible,
Vivons encore pour la chérir.
Ainsi, providence adorée
Que poétisait le lointain,
Vous vous étiez transfigurée
Et vous gouverniez mon destin.
Loin de vous j'avais du courage ;
En aurai-je autant près de vous ?...
Pourquoi me ramener l'orage
Lorsque le calme était si doux ?...
Lâcheté de mon cœur, silence !...
Ah ! tout mon être le bénit
Ce moment où, dans sa clémence,
Le Ciel, enfin, nous réunit !
Qu'il dure un jour, qu'il dure une heure,
Que, par l'émotion vaincu,
Après l'avoir goûté je meure,
Qu'importe ?... au moins j'aurai vécu !
Jules Canonge