Titre : Tristesse.
Recueil : Les poésies de l'âme (1835)
Ô Toi qui m'éblouis par ta lueur trompeuse !
Aurore de mes jours, aurore radieuse !
Songe de l'avenir ! un instant t'a détruit.
Jeune encor, du malheur j'ai vu poindre la nuit ;
Sur mon cœur déchiré j'ai senti ses atteintes
Et de sa main de fer les poignantes étreintes.
Et j'ai vécu ! d'un œil terni par les douleurs,
Sur le temps qui n'est plus, j'ai répandu des pleurs.
Ah ! puis-je sans gémir reporter ma pensée
Sur ma jeunesse, hélas ! déjà presque effacée ?
Sur ces jours où le sort, couvert d'un voile épais,
Me laissa m'enivrer d'espérance et de paix ;
Où, rêvant un bonheur que le Ciel nous dénie,
Fraîche, je m'asseyais au festin de la vie ?
Mais de ces jours perdus, à peine un souvenir
Sépare le passé de mon pâle avenir !
Ils ont passé pour moi comme un souffle d'orage,
Comme le vent du soir glissant sous le feuillage ;
Et le temps, effeuillant ces fleurs de mon printemps,
D'un lugubre rideau charge mes jeunes ans.
Exister et souffrir, voilà donc mon partage !
Mes aïeux m'ont légué ce fatal héritage.
Souffrir ! tout l'homme est là. J'abjure enfin l'erreur
Qui dans ce lieu d'exil me montrait le bonheur.
Hélas ! je marche seule en ce désert immense,
Sur cet obscur chemin lentement je m'avance,
Et pour guider mes pas dans ces sombres détours,
De la main que j'aimai je n'ai plus le secours.
Celle dont l'amitié consola ma tristesse,
Celle qui me soutint au jour de la détresse,
Qui d'un cœur agité savait charmer les maux,
Précéda son amie au séjour des tombeaux.
En vain je la pleurai, de douleur étouffée ;
Sa cendre sous mes pleurs ne s'est pas réchauffée.
Ô mort ! à l'amitié quand tu vins la ravir,
Pourquoi me laissas-tu son sacré souvenir ?
Hélas ! ce souvenir de mon bonheur d'enfance
Ne saurait de mon cœur remplir le vide immense ;
Et ce cœur, accablé par le poids des douleurs,
Fixe sur le tombeau des yeux mouillés de pleurs.
La Foi vient m'affermir quand la peine m'accable ;
Elle tend au malheur son flambeau secourable,
Et, sublime échelon entre l'homme et le ciel,
À son œil ébloui montre un jour éternel.
Aux feux de ce flambeau, je retrouve la vie,
Non point sujette au temps, à la mort asservie,
Mais dans le sein de Dieu s'enivrant à jamais
De ce bonheur profond, de cette immense paix,
Où le divin amour à nos cœurs se déploie
Et change nos douleurs en éternelle joie.
Eulalie Favier