La poésie française sur la mort.

La poésie française sur la mort

De la vie à la mort il n'y a qu'un instant.

Et le spectacle de la mort des personnes qu'on aime est au-dessus des forces humaines. (Constance Marie de Théis)

2 - Les poèmes et sonnets sur la mort :

Poème : Le mort joyeux.

Recueil : Les fleurs du mal (1857)
Dans une terre grasse et pleine d'escargots
Je veux creuser moi-même une fosse profonde,
Où je puisse à loisir étaler mes vieux os
Et dormir dans l'oubli comme un requin dans l'onde,

Je hais les testaments et je hais les tombeaux ;
Plutôt que d'implorer une larme du monde,
Vivant, j'aimerais mieux inviter les corbeaux
À saigner tous les bouts de ma carcasse immonde.

Ô vers ! noirs compagnons sans oreille et sans yeux,
Voyez venir à vous un mort libre et joyeux ;
Philosophes viveurs, fils de la pourriture,

À travers ma ruine allez donc sans remords,
Et dites-moi s'il est encor quelque torture
Pour ce vieux corps sans âme et mort parmi les morts !

Charles Baudelaire (1802-1885)

Poème : Ne verse point de pleurs.

Recueil : Les poésies diverses (1655)
Ne verse point de pleurs sur cette sépulture,
Passant ; ce lit funèbre est un lit précieux,
Où gît d'un corps tout pur la cendre toute pure ;
Mais le zèle du cœur vit encore en ces lieux.

Avant que de payer le droit de la nature,
Son âme, s'élevant au-delà de ses yeux,
Avait au Créateur uni la créature ;
Et marchant sur la terre elle était dans les cieux.

Les pauvres bien mieux qu'elle ont senti sa richesse
L'humilité, la peine, étaient son allégresse ;
Et son dernier soupir fut un soupir d'amour.

Passant, qu'à son exemple un beau feu te transporte ;
Et, loin de la pleurer d'avoir perdu le jour,
Crois qu'on ne meurt jamais quand on meurt de la sorte.

Pierre Corneille (1606-1684)

Poème : La mort dit à l'homme.

Recueil : Le cœur innombrable (1901)
Voici que vous avez assez souffert, pauvre homme,
Assez connu l'amour, le désir, le dégoût,
L'âpreté du vouloir et la torpeur des sommes,
L'orgueil d'être vivant et de pleurer debout...

Que voulez-vous savoir qui soit plus délectable
Que la douceur des jours que vous avez tenus,
Quittez le temps, quittez la maison et la table ;
Vous serez sans regret ni peur d'être venu.

J'emplirai votre cœur, vos mains et votre bouche
D'un repos si profond, si chaud et si pesant,
Que le soleil, la pluie et l'orage farouche
Ne réveilleront pas votre âme et votre sang.

— Pauvre âme, comme au jour où vous n'étiez pas née,
Vous serez pleine d'ombre et de plaisant oubli,
D'autres iront alors par les rudes journées
Pleurant aux creux des mains, des tombes et des lits.

D'autres iront en proie au douloureux vertige
Des profondes amours et du destin amer,
Et vous serez alors la sève dans les tiges,
La rose du rosier et le sel de la mer.

D'autres iront blessés de désir et de rêve
Et leurs gestes feront de la douleur dans l'air,
Mais vous ne saurez pas que le matin se lève,
Qu'il faut revivre encore, qu'il fait jour, qu'il fait clair.

Ils iront retenant leur âme qui chancelle
Et trébuchant ainsi qu'un homme pris de vin ;
— Et vous serez alors dans ma nuit éternelle,
Dans ma calme maison, dans mon jardin divin...

Anna de Noailles (1876-1933)

Poème : J'ai un rendez-vous avec la mort.

Recueil : Les poésies diverses (1916)
J'ai un rendez-vous avec la Mort
Sur quelque barricade âprement disputée,
Quand le printemps revient avec son ombre frémissante
Et quand l'air est rempli des fleurs du pommier.

J'ai un rendez-vous avec la Mort
Quand le printemps ramène les beaux jours bleus.
Il se peut qu'elle prenne ma main
Et me conduise dans son pays ténébreux
Et ferme mes yeux et éteigne mon souffle.
Il se peut qu'elle passe encore sans m'atteindre.

J'ai un rendez-vous avec la Mort
Sur quelque pente d'une colline battue par les balles
Quand le printemps reparaît cette année
Et qu'apparaissent les premières fleurs des prairies.

Dieu sait qu'il vaudrait mieux être au profond
Des oreillers de soie et de duvet parfumé
Où l'Amour palpite dans le plus délicieux sommeil,
Pouls contre pouls et souffle contre souffle,
Où les réveils apaisés sont doux.

Mais j'ai un rendez-vous avec la Mort
À minuit, dans quelque ville en flammes,
Quand le printemps d'un pas léger revient vers le nord
Et je suis fidèle à ma parole :
Je ne manquerai pas à ce rendez-vous-là.

Alan Seeger (1888-1916)

Poème : La vie si fragile.

Recueil : Jour à jour, les poésies intimes (1880)
Hélas ! quand on connaît la vie,
Quand on sait la fragilité
De tous ces biens que l'on envie,
Hélas ! quand on connaît la vie,
Il n'est plus de sécurité.

Du jour qui brille on jouit vite ;
À la hâte on cueille en chemin
La fleur qui s'ouvre et nous invite ;
Du jour qui brille on jouit vite,
Car aura-t-il un lendemain ?

Chaque plaisir est une grâce ;
On la marque d'un caillou blanc
Afin d'en conserver la trace ;
Chaque plaisir est une grâce
Que le cœur accepte en tremblant.

On sent que derrière la toile
Ce n'est pas le bonheur qui dort ;
Loin de compter sur son étoile,
On sent que derrière la toile
Sont les maux, le deuil et la mort.

Henri-Frédéric Amiel (1821-1881)

Poème : La nuit profonde.

Recueil : Les nouvelles feuilles des bois (1873)
Nuit profonde ! la mer roule, roule ses flots...
J'entends ses longs soupirs, son inconnu langage,
J'entends ses plaintes, les sanglots
Qu'elle dépose sur la plage !

Ah ! nous pouvons aussi mêler à ses douleurs
Le concert incessant des peines de ce monde,
Grossir des torrents de nos pleurs
Les plis immenses de son onde.

Ses insensibles flots pressent des ossements
Enlevés pour jamais aux larmes de la terre ;
Et comme des gémissements
Frappent leur urne solitaire,

S'il fallait déposer des cyprès et des croix
Sur tous les morts formant ses vastes catacombes,
Sur eux tomberaient à la fois
Toutes les larmes de nos tombes.

Aimons-nous donc, mortels, avant que de mourir ;
Qu'un souffle pur emporte et nos maux et nos haines ;
Que nul tyran, que nul martyr
Ne puisse ici montrer des chaînes.

Le jour, un beau soleil nous donne ses rayons,
La nuit fait scintiller ses brillantes étoiles,
Le blé mûrit dans nos sillons
Quand sur nous elle étend ses voiles !

De nos jours passagers jouissons ici-bas,
Tous nos trains de départ sont à grande vitesse ;
Que la mort ne nous prenne pas
Dans le cercueil de la tristesse.

Hippolyte Fleury

Poème : Les regrets du passé.

Recueil : Les nouvelles feuilles des bois (1873)
Ah ! pourquoi regretter un passé qui n'est plus ?
Pourquoi de notre vie abréger la durée
Par des plaintes sans fin, des regrets superflus,
Une douleur immesurée ?

Nous ne pouvons du temps interrompre le cours,
Fleuve immense, inconnu, qui n'a point de rivage,
Où viennent s'engloutir les siècles et les jours,
Sables mobiles sur la plage !

La nature le veut ; laissons tomber nos pleurs
Sur les êtres chéris qu'elle montre et moissonne,
Comme ces verts épis, comme ces tendres fleurs
Que notre deuil change en couronne.

Dans chacun de nos pas nous foulons des débris
D’êtres qui ne sont plus, de mondes qui récurent :
Nos neveux, à leur tour, consternés et surpris,
Pleureront les morts qu'ils connurent !

Avant nous, après nous ! joie, amères douleurs,
Félicités d'un jour, infortunes, souffrances,
Ou jouets malheureux de nos propres erreurs
Ou de nos fausses espérances.

Tel fut et tel sera, sous le temps ravageur,
Poussière, onde agitée, ombre toujours mobile,
Nous nous couchons le soir et comme un voyageur
Nous quittons le matin la ville.

Puisqu'un jour comme un son qui se perd dans les cieux,
Notre âme au ciel ira gagner sa céleste demeure,
Dans les plus doux parfums d'accords harmonieux
Passons ici la dernière heure !

Hippolyte Fleury

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