La poésie française sur la solitude.

La poésie française sur la solitude

La solitude dévore et détruit.

J'ai soif de présence, de conversation, d'échange, de société. La solitude m'étouffe, la solitude me tue. (Henri-Frédéric Amiel)

2 - Les poèmes et sonnets sur la solitude :

Poème : Ton image peuple ma solitude.

Recueil : L'homme intérieur (1905)
Ton image en tous lieux peuple ma solitude.
Quand c'est l'hiver, la ville et les labeurs d'esprit,
Elle s'accoude au bout de ma table d'étude,
Muette, et me sourit.

À la campagne, au temps où le blé mûr ondule,
Amis du soir qui tombe et des vastes couchants,
Elle et moi nous rentrons ensemble au crépuscule
Par les chemins des champs.

Elle écoute avec moi sous les pins maritimes
La vague qui s'écroule en traînant des graviers.
Parfois, sur la montagne, ivre du vent des cimes,
Elle dort à mes pieds.

Elle retient sa part des tourments et des joies
Dont mon âme inégale est pleine chaque jour ;
Où que j'aille, elle porte au-devant de mes voies
La lampe de l'amour.

Enfin, comme elle est femme et sait que le poète
Ne voudrait pas sans elle oublier de souffrir,
Lorsqu'elle me voit triste elle étend sur ma tête
Ses mains pour me guérir.

Charles Guérin (1873-1907)

Poème : Loin du monde.

Recueil : Poésies inédites (1860)
Entrez, mes souvenirs, ouvrez ma solitude !
Le monde m'a troublée ; elle aussi me fait peur.
Que d'orages encore et que d'inquiétude
Avant que son silence assoupisse mon cœur !

Je suis comme l'enfant qui cherche après sa mère,
Qui crie, et qui s'arrête effrayé de sa voix.
J'ai de plus que l'enfant une mémoire amère :
Dans son premier chagrin, lui, n'a pas d'autrefois.

Entrez, mes souvenirs, quand vous seriez en larmes,
Car vous êtes mon père, et ma mère, et mes cieux !
Vos tristesses jamais ne reviennent sans charmes ;
Je vous souris toujours en essuyant mes yeux.

Revenez ! Vous aussi, rendez-moi vos sourires,
Vos longs soleils, votre ombre, et vos vertes fraîcheurs,
Où les anges riaient dans nos vierges délires,
Où nos fronts s'allumaient sous de chastes rougeurs.

Dans vos flots ramenés quand mon cœur se replonge,
Ô mes amours d'enfance ! ô mes jeunes amours !
Je vous revois couler comme l'eau dans un songe,
Ô vous, dont les miroirs se ressemblent toujours !

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)

Poème : Pauvre âme solitaire.

Recueil : Les fleurs du mal (1857)
Que diras-tu ce soir, pauvre âme solitaire,
Que diras-tu, mon cœur, cœur autrefois flétri,
À la très-belle, à la très-bonne, à la très-chère,
Dont le regard divin t'a soudain refleuri ?

— Nous mettrons notre orgueil à chanter ses louanges :
Rien ne vaut la douceur de son autorité ;
Sa chair spirituelle a le parfum des Anges,
Et son oeil nous revêt d'un habit de clarté.

Que ce soit dans la nuit et dans la solitude,
Que ce soit dans la rue et dans la multitude,
Son fantôme dans l'air danse comme un flambeau.

Parfois il parle et dit : Je suis belle, et j'ordonne
Que pour l'amour de moi vous n'aimiez que le Beau ;
Je suis l'Ange gardien, la Muse et la Madone.


Charles Baudelaire (1821-1867)

Poème : À George Sand.

Recueil : Poésies posthumes (1888)
Il faudra bien t'y faire à cette solitude,
Pauvre cœur insensé, tout prêt à se rouvrir,
Qui sait si mal aimer et sait si bien souffrir.
Il faudra bien t'y faire ; et sois sûr que l'étude,

La veille et le travail ne pourront te guérir.
Tu vas, pendant longtemps, faire un métier bien rude,
Toi, pauvre enfant gâmeté, qui n'as pas l'habitude
D'attendre vainement et sans rien voir venir.

Et pourtant, ô mon cœur, quand tu l'auras perdue,
Si tu vas quelque part attendre sa venue,
Sur la plage déserte en vain tu l'attendras.

Car c'est toi qu'elle fuit de contrée en contrée,
Cherchant sur cette terre une tombe ignorée,
Dans quelque triste lieu qu'on ne te dira pas.

Alfred de Musset (1810-1857)

Poème : La solitude.

Recueil : La part du rêve (1863)
Frais calice, entr'ouvert aux rayons de l'aurore,
Une modeste fleur, que balançait le vent,
S'éveillait à la vie, et, toute humide encore
Des larmes de la nuit, souriait en rêvant.

La fleur des autres fleurs espérait un échange,
Parfum contre parfum, et soupir pour soupir ;
Mais bientôt frissonnant, par un instinct étrange,
Elle se sentit seule et désira mourir.

Un ange ranima la fleurette abattue :
Va, tout n'est pas perdu ; ton sort a sa douceur ;
Au bonheur crois encor ; si l'on t'a méconnue,
Embaume le désert, car Dieu s'y tient, ma sœur !

Henri-Frédéric Amiel (1821-1881)

Poème : Apaisement.

Recueil : La part du rêve (1863)
— Partout le regret ou l'inquiétude
Partout le souci ;
Toujours la tristesse et la solitude,
Et le deuil aussi !
Où fleurit l'espoir ? Où verdit la palme ?
Où croit le bonheur ?
Où cueillir la joie ? Où trouver le calme ?
Où poser son cœur ?

— L'or ni le savoir, le vin ni les roses,
L'art ni le ciel bleu,
N'emplissent le cœur ; et deux seules choses
L'apaisent un peu :
C'est d'abord un cœur fait pour lui, qui l'aime,
Et qu'il nomme sien,
Et puis une voix au fond de lui-même
Qui lui dise : Bien !

Henri-Frédéric Amiel (1821-1881)

Poème : À la solitude asservie.

Recueil : Grains de mil (1854)
— Ah ! c'est à détester la vie !
Toujours, partout, se sentir seul !
À la solitude asservie,
Mon âme file son linceul.
Dix fois ! ma main l'a mise nue,
Dix fois, bien qu'elle en ait frémi !
Mon âme est encore inconnue
À mon meilleur ami !

— C'est vrai ; mais, avant de maudire,
Plein de courroux ou plein d'effroi,
Écoute, passant qui soupire,
Écoute, frère, et réponds-moi.
Nul œil, c'est là ce qui t'enflamme,
Ne lit dans ton cœur abattu ;
Nul ami ne connaît ton âme :
Et toi, la connais-tu ?

Il faut posséder pour connaître,
Et pour posséder, contenir ;
L'œil, qui finit ce qu'il pénètre,
Pénètre ce qui doit finir.
Va, frère, ne jette à ce monde
Ni ton blasphème ni ton vœu ;
Ton âme est chose trop profonde :
Un seul la connaît : Dieu !

Henri-Frédéric Amiel (1821-1881)

Poème : La solitude.

Recueil : Les nouvelles feuilles des bois (1873)
Au pied de rochers noirs et vieux,
Où l'Océan gémit et gronde,
Je n'aperçois plus rien du monde,
J'unis mon âme avec les cieux
Loin de la foule vagabonde.

J'entends les chants de doux oiseaux,
Tendres soupirs dans le silence ;
J'entends la vague qui s'élance,
Elle me parle avec ses eaux,
Frémit, s'éloigne et recommence !

Je sens le doux parfum des fleurs
Que m'apporte la douce brise ;
Dans chaque vague qui se brise
Je crois recueillir quelques pleurs,
Comme la pierre d'une église !

Aucune voix dans le désert,
Le désert pense et se recueille ;
Le frémissement de la feuille
S'épanouit comme un concert
De sons plaintifs que l'âme cueille,

Je jette un regard sur les cieux,
J'interroge au loin la nature ;
J'entends une voix qui murmure :
« Tu peux errer seul en ces lieux,
C'est moi qui guide et qui rassure !

Je suis ton père au firmament,
Je le suis aussi sur la terre,
Et de l'éclat de ma lumière
Je tire de l'aveuglement
La race humaine tout entière. »

Hippolyte Fleury

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